Les dernières semaines ont tranquillement éveillé l’idée d’une grève générale illimitée dans plusieurs établissements d’enseignement du Québec. Mais le mouvement pour la rémunération des stages pourrait très vite s’épuiser, freiné par un enjeu trop limité et un gouvernement bien outillé.
La semaine de grève lancée dans plusieurs institutions postsecondaires à la fin du mois de novembre en a pris plusieurs par surprise. Au total, environ 58 000 étudiants et étudiantes ont débrayé pour s’opposer aux stages non rémunérés.
Avec six associations facultaires en grève, l’UQAM a constitué plus de 40 % du contingent en débrayage. Des résultats peu surprenants, me direz-vous. Après tout, c’est non loin de la place Émilie-Gamelin que la plupart des grandes contestations étudiantes et sociales ont vu le jour.
Mais les votes de grève tenus ailleurs au Québec, et surtout dans les cégeps — où les stagiaires représentent habituellement une infime partie de la population étudiante — poussent vers l’optimisme. À Montréal, quatre de ces établissements comptaient 21 000 membres en grève. Tous les astres semblent donc alignés, mais y aura-t-il assez de soutien pour que le mouvement prenne son envol ?
Théoriquement difficile
Selon le professeur en sociologie à l’UQAM Marcos Ancelovici, les grèves de 2012 ont ratissé large pour trois principales raisons : un travail organisationnel efficace en amont, un enjeu simple et généralisé, ainsi qu’un contexte politique tendu.
Dans le cas du mouvement pour la rémunération des stages, le travail de mobilisation a été bien mené par les Comités unitaires sur le travail étudiant (CUTE), considère M. Ancelovici. En 2012, la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) avaient fait figure de porte-étendards auprès de la population militante.
« Les CUTE ont une capacité d’innovation tant sur le plan organisationnel et discursif que sur le plan du type de revendications amenées, m’a exposé l’expert. C’est un développement qui mérite vraiment d’être pris au sérieux. »
Et c’est vrai, les CUTE, malgré leurs faibles effectifs, mènent toute une campagne de vulgarisation. Toutefois, le mouvement achoppe sur deux points, soit la complexité de ses demandes et ses relations avec le gouvernement.
La hausse des frais de scolarité avait la particularité de toucher tous les étudiants et toutes les étudiantes. La rémunération des stages ? C’est un phénomène beaucoup plus particulier.
« Comment bâtir un front commun à partir de quelque chose qui varie ? », se demande M. Ancelovici.
Si, comme l’Association étudiante de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM (AéESG), certains groupes étudiants refusent de joindre le mouvement, la lutte pour la rémunération des stages pourrait vite mourir dans l’oeuf. Rappelons qu’à son point culminant, le printemps érable avait attiré un total d’environ 300 000 personnes.
La CAQ au volant
En 2012, l’intransigeance du Parti libéral avait donné un nouveau souffle au printemps érable. « Le gouvernement faisait le pari que la grève n’allait pas lever. Mais des concessions du gouvernement auraient probablement divisé le mouvement », observe M. Ancelovici.
Cette fois-ci, les décideurs et les décideuses de la Coalition avenir Québec (CAQ) font preuve de plus d’ouverture. Mais attention aux cadeaux empoisonnés. Face à la possibilité de négociations avec les CUTE, le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Jean-François Roberge, pourrait bien décider de donner des faveurs à quelques programmes pour briser la solidarité de la base militante.
Peut-être n’en sommes-nous qu’au début. Le printemps érable, qui devait à l’origine être court, nous a démontré qu’il est difficile de faire des prédictions en cette matière.
Mais, dans ce cas, pourquoi s’être empressés de faire pression sur un gouvernement qui pourrait réduire le mouvement en miette avec quelques petites concessions ? Nous pourrions vite le regretter.
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