Surcharge de travail et problèmes de santé mentale, manque de soutien et statistiques alarmantes, coupures budgétaires et conditions précaires : le métier d’enseignant est considérablement affecté dans la conscience populaire, diminuant ainsi les inscriptions à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM.
Contrairement aux 1123 étudiants inscrits en sciences de l’éducation en 2013-2014, l’UQAM accueille 997 futurs enseignants cet automne, un nombre qui pourrait encore diminuer en raison des annulations et changements de cours qu’occasionne la rentrée.
« Si je veux vendre la fonction d’enseignant comme étant attrayante pour que de nouveaux étudiants arrivent, il faut qu’en bout de piste, je ne conte pas de mensonges aux gens. Être suppléant pendant 4 ans de temps, ce n’est pas très attrayant », lance le vice-doyen aux études à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM, Henri Boudreault. La faculté élabore présentement des stratégies pour valoriser le métier et ainsi attirer plus d’étudiants, mais le vice-doyen estime qu’il faut d’abord travailler en amont en améliorant les conditions de travail des enseignants.
Conditions difficiles
« Malgré mon arrêt de travail, j’adore mon métier, mais je conseille aux futurs enseignants de faire le baccalauréat en adaptation scolaire », confie Sylvie*, enseignante au primaire à la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. L’enseignante, qui a voulu garder l’anonymat, soutient qu’avec tous les élèves qui ont des troubles de comportement, des déficits d’attention et des difficultés d’apprentissage, son groupe s’apparente plutôt à une classe d’adaptation scolaire et qu’une formation au baccalauréat en enseignement régulier n’est plus suffisant pour un futur enseignant.
Sylvie a commencé sa carrière en adaptation scolaire il y a environ 3 ans dans une classe d’élèves âgés entre 4 et 8 ans souffrant d’un trouble du spectre de l’autisme. L’enseignante est tombée en arrêt de travail en avril 2018 et est de retour à l’école cet automne, cette fois dans une classe de deuxième année du primaire.
Les principaux facteurs qui expliquent son arrêt de travail sont les comportements des élèves et le manque de ressources.« Ça peut être très violent, il y a beaucoup d’élèves qui frappent, qui lancent des chaises, qui font des trous dans les murs. J’avais beau demander de l’aide dans tous des services qu’il y a à l’école, mais ça ne venait pas », raconte-t-elle.
« Il y a des statistique alarmantes, sur le plan des enseignants qui quittent le métier dans les cinq premières années sur le marché du travail. Les auteurs s’entendent autour d’un 20% de taux de décrochage», met de l’avant la doctorante en éducation à l’UQAM Marie-Hélène Masse-Lamarche, qui travaille actuellement sur une étude sur la souffrance enseignante au Québec. À l’école de Sylvie, deux de ses collègues sont aussi tombées en arrêt de travail environ au même moment pour des raisons similaires.
L’étude de Mme Masse-Lamarche met en lumière trois grands facteurs qui peuvent expliquer la détresse psychologique des travailleurs en éducation : la perte de liberté et d’autonomie, les problèmes communicationnels entre tous les acteurs de la profession et le manque de reconnaissance et de valorisation du métier.
Selon le professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal Maurice Tardif, la précarité du métier d’enseignant au Québec est loin d’être un phénomène nouveau. « À travers le 19e siècle, il y a eu de nombreuses périodes où le métier d’enseignant était très demandant et où les conditions de travail étaient très difficiles », établit celui qui est aussi dirigeant du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante.
Facteur démographique
En plus du poids que prend la dévalorisation de l’image dans la profession d’enseignant, la courbe de natalité a aussi un rôle à jouer dans le déclin des étudiants à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM, avance Henri Boudreault. « C’est un peu normal que si la population est en diminution, il y ait moins de monde dans les établissements de formation », ajoute-t-il.
Le vice-doyen ajoute que les délais des demandes d’admission peuvent également entrer en cause. « Si on est la troisième université à répondre aux demandes des futurs étudiants, il se peut qu’ils décident d’aller ailleurs », affirme-t-il.
Un enjeu mondial
« La dévalorisation de la profession d’enseignant, c’est quelque chose qu’on voit à peu près partout. Au Chili et en Colombie, par exemple, les conditions sont très difficiles : la précarité de travail, le salaires, ça prend du temps avant d’avoir un contrat à temps complet, les classes sont difficiles. En Afrique, c’est encore pire », compare la professeure adjointe à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal Adriana Morales.
Elle soulève qu’un des seuls pays ayant réussi à offrir un statut social élevé aux enseignants est la Finlande, où ces derniers sont valorisés et ont beaucoup de ressources à leur disposition.
Sylvie, qui a changé d’école après son arrêt de travail, confirme que l’accès aux ressources disponibles dans son nouvel environnement améliore ses conditions de travail. « J’ai la chance d’être dans une école où les éducatrices spécialisées sont très présentes. C’est vraiment ça qui m’a aidé à réduire mon stress », se réjouit-elle.
*Nom fictif. Cette personne désire préserver l’anonymat par mesure de sécurité.
photo: SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS
Laisser un commentaire