Rémunération des stages : vers une grève générale illimitée?

Deux ans après sa naissance, le mouvement étudiant pour la rémunération des stages a pris de l’ampleur en attirant des milliers d’étudiants dans des grèves ponctuelles depuis février. Si le bilan s’avère positif, la lutte pourrait se corser à la fin de l’année 2018.

Les membres de la coalition montréalaise pour la rémunération des stages, réunis le 23 mars dernier à l’Université Concordia, lanceront, dès la rentrée de la session automnale 2018, un ultimatum au gouvernement du Québec afin d’obtenir la rémunération complète des stages étudiants à l’hiver 2019.

Dans le cas où cette demande serait refusée, les membres de la coalition ont voté unanimement pour qu’une grève générale illimitée soit déclenchée au début de la session hivernale.

Entre-temps, les militants du Comité unitaire sur le travail étudiant (CUTE) distribueront des tracts à la manifestation du 1er mai, lors de la Journée internationale des travailleurs, et une journée de grève mondiale a été ajoutée au calendrier, le 21 novembre prochain.

La coalition, qui englobe les CUTE de Montréal et plusieurs associations étudiantes, s’est rassemblée dans le bâtiment Henry F. Hall, sur le boulevard de Maisonneuve, pour dresser le bilan des récentes grèves menées au cours de la session d’hiver dans les différents établissements d’éducation supérieure de la province. Sentiment général : le mouvement se porte bien.

« De plus en plus de gens sont interpellés par ce que nous défendons, affirme l’exécutant responsable aux services de l’Association des étudiantes et étudiants de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM (ADEESE), David Lacombe. Ça a pris énormément d’expansion en peu de temps. Continuer à mobiliser les gens passe par l’adoption d’un plan concret. »

Budget Leitão

Dans son budget déposé aujourd’hui, le gouvernement libéral a annoncé que le quatrième stage des futurs enseignants fera l’objet d’une compensation financière. Ce sont 15 millions de dollars par année qui y seront injectés jusqu’en 2023.

L’ADEESE soutient que la lutte ne doit pas toucher uniquement les programmes d’éducation, mais aussi ceux de travail social et de soins infirmiers, par exemple. Si la campagne de revendications et d’actions interuniversitaires pour les étudiantes et les étudiants d’éducation en stage (CRAIES) a crié victoire au dépôt du budget, la coalition pour la rémunération des stages ne se satisfera pas d’une telle annonce.

« Beaucoup de gens confondent rémunération et compensation, observe David Lacombe. La compensation, c’est une forme de bourse forfaitaire, ça n’intègre pas les stagiaires dans la loi des normes du travail. Ce n’est pas juste une question de paye, c’est une question de droits. »

En réponse au nouveau projet de loi 176 de la ministre responsable du Travail, Dominique Vien, le CUTE et une vingtaine d’associations universitaires et cégépiennes ont diffusé, le 21 mars dernier, une critique virulente. « La première réforme globale de la Loi sur les normes du travail depuis seize ans ne comporte absolument rien pour les stagiaires », pouvait-on y lire. Mme Vien n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue du Montréal Campus.

« Légalement, nous avons les mêmes responsabilités qu’un professionnel, mais nous n’avons pas les protections, s’insurge David Lacombe. Nous sommes clairement désavantagés. »

En plus de déplorer un double standard chez les stagiaires, les différents acteurs du mouvement reprochent au gouvernement de créer des zones grises dans l’application de la loi aux étudiants en stages.

Des efforts devront être faits pour transporter le combat au-delà des élections d’octobre prochain, selon la membre du CUTE-UQAM Sandrine Boisjoli.

« La ministre responsable de l’Éducation supérieure, Hélène David, tend à changer son avis sur le sujet, souligne-t-elle. Tous les partis commencent à en parler, mais c’est sûr que, peu importe le parti qui entre [au pouvoir] au mois d’octobre, la lutte ne sera pas terminée. »

Réponse de l’UQAM

Si le conseil d’administration de l’UQAM dit avoir entendu les demandes des stagiaires le 20 mars dernier, des membres de l’ADEESE prennent leurs précautions par rapport à la décision de laisser le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) assumer une position.

« Il faut rester prudent, avoue l’exécutant et secrétaire général à l’ADEESE, Charles-Antoine Goulet. Ils peuvent bien dire des choses qui ne vont pas se concrétiser. Nous sommes aussi en période électorale, ce qui pourrait motiver leurs décisions. »

« Le risque de reléguer ça au BCI, c’est que ça prenne une éternité et que ça soit une excuse du conseil d’administration pour ralentir le processus, ajoute Annabelle Berthiaume. Ils ont réagi très rapidement, mais nous avons peur que ça devienne une excuse pour se débarrasser de nous. »

Portée améliorée

Le mouvement pour la rémunération des stages n’est pas montréalocentriste, précise Charles-Antoine Goulet. Dès le départ, la coalition a voulu décentraliser la lutte. La grève du 8 mars dernier a rassemblé 30 000 étudiants à travers le Québec. Le mouvement s’est également étendu à d’autres facultés que celles des sciences de l’éducation, rappelle l’exécutant à l’ADEESE.

C’est aussi pourquoi les divers CUTE de la région métropolitaine de Montréal ont tenu à offrir des formations dans les cégeps et universités de la province. Le CUTE du Cégep de Saint-Laurent, qui a pris forme à la mi-mars, est l’un des derniers comités à se joindre au mouvement à la suite d’une formation menée par des comités universitaires.

Environ deux ans après l’éclosion du mouvement, on compte des comités pour la rémunération des stages en Outaouais, en Estrie et dans la région de Québec, en outre.

« Dans le passéles actions étaient souvent basées et médiatisées à Montréal, soutient la membre du Comité pour la rémunération des internats et des stages de l’Université du Québec en Outaouais (CRIS-UQO) Stéphanie Gilbert. Quand les mouvements étaient portés par des représentants, ça ne se rendait pas où on le voulait. »

« Toutes les régions ont des réalités différentes, donc c’est important que chaque région développe sa propre stratégie, renchérit-elle. L’UQO n’a pas la même réalité que l’UQAM. »

Le développement des CUTE passe par une mobilisation à l’échelle nationale, pas que régionale, selon Annabelle Berthiaume.

« Le CUTE est un comité de mobilisation, et nous aimerions réorganiser la gauche au Québec, propose-t-elle. L’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) n’organise plus de grèves, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) est en veilleuse. Nous voulons créer un pôle combatif de gauche dans le mouvement étudiant. »

 

photo : MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS

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