Récemment, dans les pages du quotidien Le Devoir (« Caisses Desjardins. Des manquements au processus démocratique », Étienne LeBlanc-Lavoie, 14 mars 2018) et aussi sous la plume de Gérald Fillion sur son blogue à Radio-Canada (6 mars 2018), on se préoccupait de l’émiettement du caractère local chez Desjardins à travers la nouvelle tendance à la rationalisation des services. On semblait se soucier d’un égarement dans la mission sociale que devrait jouer la coopérative. Fillion titrait son article « Qu’est-ce qu’on attend du Mouvement Desjardins? ». Il basait son texte sur les valeurs publiées sur le site internet de la Caisse. Toutefois, ces vertus inscrites en ligne se rapprochent plus d’un exercice de relations publiques que de réelles orientations d’entreprise. Pour mieux cogiter sur cette interrogation, il me paraît pertinent de sonder les valeurs initiales, à l’origine de ce type de mouvement coopératif, à travers une brève mise en contexte historique.
Cette idée de coopérative financière ne naît pas au bord du Saint-Laurent en 1900, mais bien sur les rives du Rhin, dans l’ouest de l’Allemagne, au milieu du 19e siècle. Friedrich-Wilhelm Raiffeisen, un maire de village en Rhénanie animé par de forts sentiments chrétiens, fonde la première Caisse d’épargne et de crédit en 1864. Cette fondation survient à la suite de multiples échecs d’entreprises caritatives, où l’absence de viabilité économique est au centre de cette déconvenue. Il théorise sa pensée par écrit deux ans plus tard, tout en soulignant que son projet revêt une prétention charitable.
Les objectifs sont d’abord de combattre l’usure en région rurale et de sauvegarder les paysans des aléas climatiques en leur offrant du crédit abordable. Ces éléments se conjuguent rapidement à une volonté assumée de moraliser les campagnes, gangrénées par les maux de l’ère industrielle, dont le plus exécrable est l’individualisme.
La Caisse est dirigée par le curé, le maire ainsi que d’autres notables du village, et aucun de ses dirigeants n’est rémunéré. Les prêts sont seulement accordés aux membres faisant preuve d’un mode de vie pieux et il n’y a pas de redistribution des ristournes, pour écarter les individus incités par l’appât du gain. Les surplus engrangés sont redirigés vers une caisse centrale régionale, qui s’occupe par la suite d’en faire la redistribution, à l’image de la péréquation. Comme l’affirmera Raiffeisen, « l’argent n’est pas le but de la caisse, mais le moyen ».
Les caisses se retrouvent ainsi absorbées dans la dynamique villageoise, dont le socle fondamental est la confiance. Il en est de la sorte parce que les membres conçoivent que les intérêts de la coopérative sont avant tout communs, et non individuels. Le lien qui lie la caisse à ses membres est donc beaucoup plus sentimental que monétaire.
À la lumière de ces informations, on peut tenter une réponse au questionnement initial de Gérald Fillion. Bien qu’il serait impossible aujourd’hui d’exiger de Desjardins la piété des Caisses Raiffeisen du 19e siècle, son but devrait être moins de concurrencer les banques sur le terrain des bénéfices, que de bien servir la communauté. Particulièrement lorsqu’on sait que cet engagement est l’ingrédient de base du succès populaire des Caisses auprès des Québécois. Sinon, qu’est-ce qui différencie réellement Desjardins d’une banque ordinaire? En définitive, c’est évidemment la relation privilégiée liant les membres à l’institution qui est garante de sa pérennité, et non pas sa simple performance financière. Un lien qui peut toutefois s’éroder, notamment lorsqu’on apprend que le salaire du PDG de Desjardins en 2017 atteint 2,76 millions de dollars. Raiffeisen en serait amèrement déçu.
L’auteur est étudiant à la maîtrise en histoire à l’UQAM.
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