Montréal est-elle moins répressive qu’avant?

Cinq années après les manifestations du printemps 2012, un mémoire de maîtrise en droit international publié à l’UQAM jette un éclairage nouveau sur les méthodes excessives employées par les forces de l’ordre montréalaises et sur l’incompatibilité du règlement P-6 avec la justice fondamentale.

Le mémoire publié en janvier dernier par une étudiante de l’UQAM à la maîtrise en droit international, Ann Dominique Morin, explore l’impact du règlement P-6, mis en place au plus fort de la grève étudiante de 2012. L’étudiante y écrit que le règlement aurait porté atteinte aux droits, à la liberté et à la sécurité des manifestants « en raison des arrestations de masse, des longues périodes de détention et de leur caractère humiliant, des interventions brutales qui occasionnent des douleurs et des blessures physiques ainsi que des séquelles psychologiques importantes ». Ann Dominique Morin remarque également que le règlement a été « contraire aux principes de justice fondamentale en raison de sa portée excessive et du caractère disproportionné de son application ».

Si ce règlement a revêtu un caractère exceptionnel, les contestations populaires, elles, ne sont pas étrangères à la métropole. « De tout temps, Montréal a pas mal toujours été une ville de manifestations, exprime Lucie Lemonde, professeure de sciences juridiques à l’UQAM. Depuis 2012, jusqu’à 2015, on a vu beaucoup de manifestations à Montréal, c’est documenté et reconnu à travers le Canada ». La période serait toutefois trop courte depuis le printemps érable pour témoigner d’une véritable amélioration dans la gestion des protestations par les forces policières, selon Mme Lemonde.

La professeure, spécialisée en liberté d’expression et en droit de manifester, croit que la situation de Montréal n’aurait pas particulièrement changé depuis les dernières grandes manifestations de 2012, mais qu’une nouvelle tendance aurait été observée à partir de 2015 dans les arrestations de masse.  « Avant 2015, il arrivait souvent qu’il y ait plus de policiers que de manifestants et qu’on commence les arrestations avant le début de la manifestation. Depuis, le SPVM a changé de tactique », explique-t-elle.

Ce changement se serait amorcé après qu’un rapport sur les manifestations et répressions – le Bilan sur le droit de manifester au Québec – ait été publié par la Ligue des droits et libertés en 2015. Depuis, on n’aurait plus vu d’arrestations de masse au Québec lors de rassemblements populaires, selon Mme Lemonde.

Un avis partagé par Geru Schneider, diplômé de l’UQAM en sciences politiques, qui a vu une diminution de l’utilisation des arrestations de masse comme méthode des forces policières lors d’attroupements. « On sent que les policiers font beaucoup plus attention depuis 2012, surtout avec les histoires qui traînent en Cour. Ils n’ont plus vraiment la même approche avec nous. Ils ne font plus de souricière, où ils ramassent tout le monde et font le tri après. C’est plus ciblé », raconte-t-il.

Réputation internationale

Le zèle des policiers n’est pas seulement reconnu parmi les étudiants québécois. La professeure de sociologie à l’Université York de Toronto, Lesley J. Wood, a étudié et comparé le phénomène dans plusieurs villes canadiennes. Elle y a consacré un livre, Mater la meute : la militarisation de la gestion policière des manifestations, publié en 2015, qui porte sur les répressions policières en Amérique du Nord. Elle explique, dans un échange de courriels avec le Montréal Campus, que la police de Montréal « est perçue comme un experte de la répression. Dans ce contexte, [les policiers] utilisent plus souvent le gaz poivré et les gaz lacrymogènes, et arrêtent plus de manifestants que les policiers dans d’autres villes [au Canada]»

L’ONU en fait même mention lors d’un rapport du Comité des droits de la personne publié en 2015, où elle s’inquiète de « l’usage excessif de la force par des policiers lors des arrestations massives effectuées dans le contexte de manifestations en particulier les manifestations en lien avec […] les mouvements étudiants à Québec en 2012.» Le Canada n’a pas donné suite à ces avertissements depuis.

Et l’avenir ?

Ce qui a plutôt marqué depuis le printemps érable, c’est la saga judiciaire du règlement P-6 sur les manifestations, tel qu’abordé dans le mémoire de maîtrise d’Ann Dominique Morin. D’abord introduit en 2012, le règlement P-6 a été révisé au fil des poursuites judiciaires. Maintenant, les citoyens ont le droit d’être masqués pendant un rassemblement, mais doivent toujours transmettre l’itinéraire de leurs déplacements à la police, excepté lors d’une manifestation improvisée.

Dans les faits, cet itinéraire n’est pas toujours fourni et les policiers le tolèrent, mais cela peut dépendre de la cause politique derrière ladite manifestation, juge Lucie Lemonde. Selon elle, les manifestations étudiantes ou celles contre la brutalité policière seraient beaucoup plus réprimées que celles pour l’environnement, par exemple.

Mais le règlement P-6 a tout de même contribué à ternir la vision que les citoyens ont des défilés de protestation. Car si certains ont abandonné l’idée de participer aux manifestations par peur des arrestations, d’autres se sont indignés et radicalisés à la suite de l’implantation du règlement.

« La répression systématique des manifestations […] ainsi que les interventions policières disproportionnées sont autant d’éléments qui contribuent à susciter la colère, mais aussi la peur de prendre part aux actions de contestation et de revendication sociale et, au final, à entraver le débat social et politique », conclut d’ailleurs Mme Morin dans son mémoire.

Il faudra donc attendre la prochaine grande cause populaire, selon la professeure Lemonde, pour voir si le Québec sombrera encore dans l’usage de la force policière et des lois spéciales ou si les leçons apprises en 2012 et en 2015 aideront les futurs manifestants à mieux organiser leur combat.

Photo: CATHERINE LEGAULT MONTRÉAL CAMPUS

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