L’humour dans le rap : du sérieux au Québec

Effervescent pour certains, hermétique pour d’autres, une chose est sûre, le milieu du rap au Québec fait jaser. Un petit groupe d’artistes parvient à tirer son épingle du jeu dans un univers masculin tissé serré, où l’humour point parfois. Mais ce ne sont pas les seuls à savoir jouer avec le rythme et la poésie ; les femmes et la communauté LGBTQ ont aussi leur mot à dire.

Ils écrivent le sourire aux lèvres sans pour autant délaisser le sérieux de leur démarche. Certains rappeurs québécois intègrent l’humour dans leurs textes, un procédé inhérent à leur identité créative.

L’écriture absurde et iconoclaste des différentes pièces du plus récent album d’Alaclair Ensemble, Les frères cueilleurs, rappelle que le collectif «post-rigodon» a contribué à l’éclosion d’un nouvel essor du rap dans la Belle Province. Leurs textes repoussent les limites du rap québécois alors que l’influence de l’humour y est omniprésente.

« Chus late désolé, j’ai un dégât d’sauce pois », répétaient en chœur les adeptes d’Alaclair Ensemble réunis le 16 septembre au Club Soda à Montréal, à l’occasion du lancement du quatrième album de la formation. Six ans plus tôt, leur premier album 4,99 brisait les barrières stylistiques de l’époque. Encore aujourd’hui, il est salué pour sa plume décomplexée aux sonorités humoristiques.

Au Québec, l’humour prend beaucoup de place, ça fait partie de notre identité
Kenlo Craqnuques, membre du collectif Alaclair Ensemble

« Sans aucun doute, Alaclair Ensemble est l’un des premiers groupes de rap au Québec qui s’est permis d’intégrer des blagues dans ses textes sans s’en cacher », explique le rappeur Gregory Beaudin alias Snail Kid, membre des groupes Dead Obies et Brown. Ce dernier souligne également l’importance qu’a eu l’album dans la création de Collation Vol 1, le premier EP de Dead Obies.

« Je ne veux pas minimiser l’impact que l’album [4,99] a eu, mais je ne me balade pas en disant que j’ai révolutionné le rap au Québec. Je ne le pense pas non plus », croit de son côté Ogden Ridjanovic, du collectif Alaclair Ensemble.

« Actif depuis 2010, Alaclair a complètement régénéré la scène du rap québécois comme on la connaissait avant la sortie de l’album 4,99 », affirme Laurent K. Blais, auteur du mémoire Le rap comme milieu : ethnographie d’artistes de Montréal. Également cofondateur de 10kilo. us, blogue montréalais sur le rap contemporain, il remarque que le hip-hop québécois d’avant 2010 abordait « majoritairement des thématiques lourdes accompagnées de violons et de gens qui braillent ».

Un procédé stylistique de choix

Pour deux des membres d’Alaclair Ensemble, KenLo Craqnuques (KNLO) et Ogden Ridjanovic, utiliser l’humour n’est pas une façon de déjouer la critique en assumant moins ses propos. D’après eux, l’utilisation de ce procédé n’empêche pas la création d’un produit musical crédible et de qualité. « Au Québec, l’humour prend beaucoup de place, ça fait partie de notre identité », explique KNLO qui a récemment réalisé le court-métrage musical L’AN 16. « Justement, tu peux faire de l’humour en étant pris au sérieux », ajoute Ogden, alias Robert Nelson, aussi rappeur dans la formation Rednext Level.

Snail Kid assure que son penchant pour le registre humoristique découle bien plus d’un choix créatif que d’une incapacité à traiter des thèmes de la violence et de la pauvreté, omniprésents dans les textes de rap. « Le contexte social n’est peut-être pas le même que dans certains endroits aux États-Unis, mais ces réalités existent. La pauvreté reste la pauvreté, peu importe l’échelle. » KNLO abonde dans le même sens. « C’est se cacher les yeux se dire que c’est la belle vie à Montréal » observe-t-il.

Laurent K. Blais estime pour sa part que l’intégration de l’humour dans les textes d’un artiste est un outil plutôt qu’une finalité en soi. « Dans le cas d’Alaclair, la violence n’avait pas [pour eux] de résonnance. Ils ont utilisé d’autres voies pour passer leur message », énonce-t-il.

Dans certains cas, l’humour n’est pas seulement un véhicule pour ajouter une couleur aux textes. Selon Snail Kid, son utilisation permet aussi d’enrichir les spectacles. Le passé d’improvisateur des trois membres du groupe Dead Obies — 20Some, Yes McCan et lui-même — ajouterait à son avis une touche d’authenticité à leurs performances scéniques. Cela permettrait d’attirer un auditoire à la recherche d’une expérience plus globale. « Le rap est reconnu pour donner des shows de marde, avance Snail Kid. Le rappeur est souvent un petit peu trop cool pour faire une mise en scène ».

À son avis, la manière de se produire sur scène s’est transformée ces dernières années au Québec, mais également chez nos voisins du Sud. « Je me rappelle lorsque j’écoutais les shows de Dr Dre avec Eminem, c’était toujours la même chose. Aujourd’hui, on voit des gars comme Kanye West qui s’efforcent de présenter des performances scéniques incroyables. », ajoute-t-il.

Laurent K. Blais est du même avis. « Dans l’univers du rap, partout dans le monde, [la vaste majorité] des spectacles sont vraiment plates. Règle générale, le rap est un très mauvais genre scénique parce qu’il y a vraiment peu d’artistes qui ont la chance d’avoir un background théâtral. », précise-t-il.

Photos: FÉLIX DESCHÊNES
Le groupe Alaclair Ensemble (présent sur les deux photos) foulait la scène du Club Soda le
16 septembre dernier, à l’occasion du lancement de son quatrième album, Les frères cueilleurs.

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