La falsification de données scientifiques ne serait pas chose rare lors de demandes de subventions auprès des Fonds de recherche du Québec, selon certains experts. La faible importance attribuée au domaine des sciences par le gouvernement de Stephen Harper pourrait bien en être la cause.
« Durant ma carrière, je peux vous dire que j’en ai vu [des scientifiques qui présentent des résultats faussés] particulièrement lors de demandes de financement », explique le directeur au centre de recherche en sciences biomédicales BioMed de l’UQAM, Benoit Barbeau.
En évaluant des demandes de financement, le biologiste de formation explique avoir été témoin de ce genre de pratique. « Lorsque j’évaluais un chercheur, je me suis souvenu avoir déjà vu des résultats que j’avais préalablement aperçus dans d’autres concours. J’ai constaté que l’information était différente, qu’elle avait été trafiquée », mentionne-t-il.
Barbeau explique qu’il n’y a pas de mécanismes clairs permettant de déceler ce genre d’erreur. « C’est souvent une question de hasard, soulève-t-il. Je peux remarquer par exemple que deux graphiques se ressemblent dans deux articles. » Les scientifiques vérifient les publications à travers un processus d’évaluation par les pairs. Des collègues lisent le texte et regardent la qualité et la validité des propos avancés. Selon le Dr Barbeau, ce système fonctionne, mais ne permet pas toujours d’identifier les données truquées ou copiées. « Il est extrêmement difficile de déceler des informations qui ont été obtenues par plagiat », indique-t-il.
Un manque de financement
Les différents Fonds de recherche du Québec et du Canada accordent de moins en moins de financement. Ce fut particulièrement le cas durant le règne de Stephen Harper. « Il y a quelques années, le pourcentage de subventions octroyées dans le cadre du concours des Instituts de recherche en santé (IRSC) était entre 25 et 30 %, rappelle le Dr Barbeau. Lors du dernier concours, le taux de succès était de 8 % », mentionne-t-il.
Comme les chances d’obtenir du financement sont de plus en plus faibles, M. Barbeau explique que les chercheurs doivent se démarquer pour l’obtenir, mais aussi pour le conserver. La falsification paraît alors attirante pour un chercheur dont les résultats tardent à se manifester. « Quand tu as 31 ans et que tu sors de l’université, tu dois publier pour préserver ton emploi. Plus tu publies, plus tes chances de garder tes bourses sont grandes », explique-t-il. Dans ces cas-ci, la pression devient immense, selon lui.
Faible médiatisation
Le spécialiste des controverses scientifiques et professeur à l’UQAM Yves Gingras indique que ce problème est peu abordé dans les médias. « Il n’est pas toujours d’intérêt public de savoir que untel ou unetelle a plagié », mentionne l’historien. Il dit que les partis concernés gèrent généralement ces situations à l’interne. « C’est un peu comme quand un étudiant est accusé de plagiat. Il y a des sanctions à l’intérieur de l’établissement, mais la chose n’est pas médiatisée », affirme le professeur. Il pense aussi que les différentes politiques mises en place par les gouvernements fédéral et provincial vont dans ce sens.
Par contre, M. Gingras croit que dans un cas où la fraude aurait un impact direct sur la population, comme un médicament développé selon de fausses études, la médiatisation devient nécessaire et primordiale.
Peu de sanctions
Du côté des Fonds de recherche du Québec, on travaille à sensibiliser les experts à de saines pratiques de recherche. En septembre 2015, les Fonds adoptent la « politique sur la conduite responsable en recherche », un document de 35 pages visant à assurer des pratiques de recherche responsables de la part des scientifiques. La directrice aux affaires éthiques et juridiques des Fonds de recherche du Québec, Mylène Deschênes, explique que le retrait du financement représente la sanction ultime pour un manquement. « Mais avant d’en arriver là, on va dialoguer avec le scientifique. On va lui demander de s’expliquer et de nous fournir des preuves », nuance-t-elle toutefois. Les Fonds misent sur l’éducation plutôt que sur les sanctions punitives.
Le Dr Gingras souligne qu’il y a un autre problème concernant l’éthique scientifique : celui de se faire « refiler » des scientifiques ayant reçu des sanctions ailleurs qu’au Canada. « Il arrive que des scientifiques accusés de pratiques douteuses dans d’autres provinces ou d’autres pays viennent se faire embaucher au Québec », déplore-t-il. Il explique qu’une vérification plus approfondie devrait être effectuée par les universités qui engagent des chercheurs dans le but d’éviter des situations litigieuses. Il fait notamment référence au Dr Eric Poehlman qui avait été engagé par l’Université de Montréal en 2001 et qui a écopé d’un an de prison aux États-Unis en 2006 à la suite de la falsification de plusieurs études.
Photo: JEAN BALTHAZARD
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