La montagne d’heures travaillées bénévolement, mon amie Stéphanie a cessé d’y penser. Étudiante en enseignement préscolaire et primaire à l’Université de Sherbrooke, elle réalise le dernier stage de son bac dans une petite école primaire de Magog. Quarante heures par semaine, non rémunérées, une classe de 27 élèves de première année à gérer dans la journée et une pile de devoirs à corriger le soir venu. La fin de semaine, elle travaille à temps partiel comme animatrice dans un centre de villégiature pour ne pas gonfler ses dettes d’études, pesant déjà lourd sur ses épaules.
Mon amie fait partie des 300 000 personnes bossant gratuitement partout au Canada. Pas de doute, les stages non rémunérés sont la norme au pays. La pratique est si répandue qu’on en oublie de questionner les limites de sa légitimité. Vous le savez aussi bien que moi, dans certains domaines, où la compétition est forte entre étudiants, trouver un stage payant tient du miracle.
Plusieurs grandes entreprises, bien que prospères, refusent toujours d’offrir un salaire aux stagiaires. J’ai choisi de présenter le cas de nos futurs enseignants, car il est selon moi le plus probant, mais les étudiants en télévision, en relations publiques, en journalisme, pour ne nommer qu’eux, réalisent tous des stages dans des environnements professionnels qui ont souvent les moyens de leur offrir un salaire. Un stage bénévole chez QMI, CKOI, Evenko, Bell, NRJ… Vraiment ? Kate Bouchard, ma spameuse préférée et agente de stage adorée, n’a rien de plus «payant» à nous proposer ?
On se sent coincé, comme si ce «passage obligé» se devait d’être la norme. Les stages bénévoles placent les étudiants dans une situation précaire, comme s’ils ne l’étaient pas déjà suffisamment. Cette «norme» nous oblige à faire le choix entre un emploi à temps partiel ou s’endetter davantage pour éviter de virer fou. Beau dilemme.
En France, lorsqu’un stage s’étire sur plus de huit semaines, l’organisation doit, selon la loi, offrir un montant compensatoire au stagiaire. Aux États-Unis, la réforme est entamée également en ce sens. Même dans la fonction publique canadienne, un stagiaire doit obligatoirement recevoir un salaire en échange de son travail. Les entreprises ont présentement le gros bout du bâton, car la législation québécoise le leur permet. Elles sont parfaitement conscientes que la pratique est socialement acceptée. Il y aura toujours un étudiant avide de faire sa place ou un nouvel arrivant cherchant désespérément une expérience de travail canadienne à inscrire sur son CV pour faire le travail gratos.
Les établissements scolaires devraient se responsabiliser davantage sur cette question pour éviter les abus. À partir d’un certain nombre d’heures, le principe même des stages bénévoles ne devrait plus exister. Une compensation monétaire minimum obligatoire susciterait davantage la motivation du stagiaire et l’employeur pourrait lui donner des responsabilités plus intéressantes. Prenez des notes Mme Bouchard et parlez-en à vos patrons, vous pourriez faire bien des heureux.
Louis-Philippe Bourdeau
Chef de pupitre Société
societe.campus@uqam.ca
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