Abandonnée par la radio parlée francophone, la bande AM devient un terreau fertile pour les radios ethniques. Ces stations spécialisées ont repris le flambeau de cet oublié des ondes et comptent le porter bien haut.
Aussi désuète que le VHS pour la nouvelle génération, la bande AM survit malgré la désertion complète des stations francophones, toutes passées chez le voisin FM. Délaissé dans le reste de la province, le AM tient le coup dans la métropole grâce à son multiculturalisme. Radio- Shalom, Radio Moyen-Orient et CPAM pour les Haïtiens sont des exemples de la diversité radiophonique montréalaise. L’attachement des différentes communautés culturelles à leurs stations leur permet de réussir là où plusieurs ont échoué.
La popularité grandissante des stations ethniques dans la dernière décennie surprend peu dans le milieu radiophonique. «Les communautés culturelles sont plus nombreuses et veulent plus s’exprimer», croit le président fondateur de la station Radio-Shalom 1650 AM, Robert Lévy. Fondée en 2006, la station connaît un succès majeur auprès de son public cible, selon un sondage réalisé auprès de la communauté juive de Montréal. «Près de la moitié des répondants nous écoutent et 80% trouvent qu’elle est nécessaire», résume-t-il. Seule radio juive au Canada, il ajoute que la station est écoutée partout dans le pays et même à l’international grâce à l’Internet.
Conseiller en radiophonie, Michel Mathieu travaille depuis plus de cinquante ans dans le domaine. Il croit toujours que la bande AM a de belles années devant elle, malgré les pépins techniques. «Il y a un manque de puissance et des interférences pendant la nuit, mais ce ne sont pas toutes les stations qui ont besoin d’un son optimal», explique-t-il. Les opportunités au AM sont plus présentes que jamais avec l’extension de la fréquence. «On a étendu la bande des fréquences du 1600 au 1700, car c’est là qu’on peut trouver quelque chose de potable présentement en termes de signal», avance-t-il.
Le vétéran de la radio reconnait que le AM est désuet ailleurs aux Québec. Outre Montréal, la dernière station de la province, Québec 800, a fermé ses portes en 2012. «Dans les régions, il n’y a qu’un marché commercial francophone. Le AM est mort et enterré», assure Michel Mathieu. CPAM 1610 AM a été l’un des premiers projets de radio ethnique auquel a participé Michel Mathieu. Travailleur chez Bombardier et d’origine haïtienne, Joseph Desrouillères s’informe tous les jours avec Réveil matin, l’émission de l’animateur Paul Emmanuel. «C’est un peu le Paul Arcand haïtien. C’est une émission matinale classique, mais avec une perspective sur notre pays», explique- t-il. Auditeur régulier depuis près d’une dizaine d’années, il pense que la station a véritablement commencé à rassembler la communauté à la suite de la tragédie du tremblement de terre en 2010. «C’était le poste à écouter pour avoir les dernières informations, se rappelle-t-il. CPAM 1610 a fait un travail formidable pendant ces durs moments.»
Malgré leur succès, impossible d’ignorer le facteur financier pour les radios ethniques. Elles réussissent malgré tout à aller chercher des revenus publicitaires suffisants pour survivre. «Elles ne roulent pas sur l’or, mais je sais que leurs affaires vont bien, contrairement aux derniers postes francophones», explique Michel Mathieu, impliqué dans la création de la majorité des postes AM depuis dix ans. Joseph Desrouillères remarque une diversité très impressionnante dans l’offre publicitaire. «Plusieurs entrepreneurs de la communauté diffusent des publicités, ça montre qu’on est un groupe vivant et actif à Montréal», soutient-il.
L’effet FM
Sur la bande FM, la radio grecque MIKE FM est la seule représentante des communautés culturelles. Alors que la radio émettait sur la bande AM, une licence lui a été accordée en 2004 pour faire le saut sur le 105.1 de la bande FM. «C’était une question de timing. On l’a eu très rapidement et on sait à quel point trouver une fréquence est dur présentement», avoue le directeur adjoint de la station, Geoffroy Bry-Marfaing. La qualité sonore supérieure représente un atout majeur, mais d’autres facteurs rendent le transfert positif pour la station. «La perception des gens change automatiquement, remarque-t-il. Dès qu’on est au FM, on est big et professionnels.»
Le développement des radios multiculturelles ne les mènera pas nécessairement vers les ondes FM, estime Michel Mathieu. Présentement, toutes les fréquences de qualité sont occupées et plusieurs attendent le moment où l’une d’entre elles se libérera. «Tout ce que je pourrais trouver pour quelqu’un qui veut aller sur le FM, c’est un signal qui fait deux coins de rue», illustre le conseiller. Robert Lévy est satisfait de la situation actuelle de Radio-Shalom, mais avoue qu’un transfert au FM serait une merveilleuse opportunité. «S’il y a une place qui se libère, on considèrerait sérieusement faire le saut, mais nous ne comptons pas là-dessus à court terme», affirme-t-il.
Michel Mathieu est très heureux de voir les communautés culturelles faire vivre la bande AM. L’établissement de fondations solides qu’il a aidé à mettre en place dans le paysage radiophonique montréalais leur promet un avenir reluisant. «Il y a quinze ans, on annonçait déjà la mort du AM, se rappelle le conseiller. Je peux vous garantir qu’il y sera encore dans vingt ans avec ces nouveaux joueurs!»
Crédit photo: Radio Shalom
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