Des centaines de tranches de pain blanc sur le plancher et une odeur de moisi. Ce sont les premiers souvenirs qui surgissent lorsque je me remémore mes premiers instants à Montréal Campus. L’artiste Karen Spencer faisait une performance dans sa chambrette miteuse du quartier Saint-Henri. La chef de pupitre culture m’y avait assignée.
Je ne le savais pas à l’époque mais je faisais mes premières «vraies» armes dans le plus beau métier du monde. Auparavant, mes quelques participations sporadiques à des médias étudiants n’avaient guère suscité le même sentiment de fierté et de professionnalisme, n’en déplaise à mes camarades et collègues de l’Unité, fier journal de feu l’Association générale étudiante des secteurs Sciences humaines, Arts, Lettres et Communications de l’UQAM ou encore de l’Esprit Simple, que notre cohorte d’étudiants en journalisme avait fondé. Aussi formatrices furent-elles, ces expériences ne m’ont pas appris la rigueur que celle que m’ont donné les dizaines de versions (peut-être des milliards) de textes faits pour le Campus, tant de fois retravaillés.
C’est donc d’abord assise par terre sur de la mie de pain (et plus tard dans le local V-1380) que j’ai appris le métier. En toute humilité. Pétrie d’enthousiasme, j’avais interviewé l’artiste tout l’après-midi, luxe du temps que je n’ai que très rarement pu m’offrir par la suite dans ma vie de journaliste professionnelle. J’apprends maintenant qu’en sérieuses difficultés financières, Montréal Campus pourrait voir ses nobles desseins formateurs et sa liberté menacés.
«L’art est un luxe qui n’est pas accessible à tout le monde», m’avait confié cette journée-là Karen Spencer, qui voulait pourtant sensibiliser le public à son importance. J’ai aujourd’hui envie de dire que l’indépendance, ultime rempart de la vérité et d’une information de qualité, est aussi un luxe que Montréal Campus doit indéniablement continuer à se payer.
Lisa-Marie Gervais
Journaliste
Le Devoir
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