Besoin de changements sociaux? Pourquoi se contenter d’une approche traditionnelle? Rires, revendications et manifestations loufoques réclament leur place dans l’espace publique. Parce que «sérieux» n’est pas synonyme de mieux.
Tapis dans une foule de manifestants, le spécimen Rhinocéros barrit ses revendications politiques. Veston coloré, corne ornant son chapeau haut de forme, Jean-Patrick Berthiaume, alias Cacereco, manifeste son désir d’une société meilleure. Le directeur du Laboratoire des Sciences et de la Démocratie (LSD pour les intimes) en fait sourciller plus d’un. Une bien drôle d’espèce venue colorer l’espace publique.
Comprenant le cynisme des Québécois envers la politique, il lance: «Je suis devenu un politicien honorable, c’est-à-dire un politicien rhinocéros.» Incrédules, plusieurs citoyens se posent la même question: «Ça existe encore?» Fondé en 1963, le parti frappe l’imaginaire de l’électorat canadien. C’est avec l’idée d’abolir la loi de la gravité ou de faire une allée de quilles rue Sainte-Catherine que la population se laisse entrer dans le cirque. Circonscription Laurier, Montréal 1980, Sonia «Chatouille» Côté arrive même deuxième aux élections, mais les Rhinos se dissipent peu à peu du monde politique.
Encornant le doute, le Parti Rhinocéros revient toutefois à la charge en 2007, après une absence 13 ans. Avec 14 candidats aux dernières élections fédérales, il proposent une vision de la politique à leur sauce: un grand bol d’idéologies saupoudrées d’humour, servi dans l’absurdité totale. «Les gens savent qu’ils vont se faire baiser, mais au moins ils vont avoir du plaisir», s’esclaffe Cacereco. À travers cette allusion, son slogan «Jouir du droit de vote» prend tout son sens.
À l’instar du Parti Rhinocéros, d’autres organisations utilisent l’humour pour planter la corne dans la plaie. Amoureux de cette idéologie, The Love Police, mouvement international, prône le changement, un câlin à la fois. «On utilise l’absurde parce qu’il y a assez de dramatisation sur tout et sur rien», explique l’un des fondateurs de The Love Police à Montréal, Éric Bouthillette.
Charlie Veitch, père du mouvement, propose une autre façon de rejoindre le public. The Love Police possède pour seules armes mégaphones, vérités et ironie mordante. Au bout de leurs bras, une pancarte «Everything is okay». «Ce qu’on prône c’est de baisser le niveau de peur envers l’État policier et d’augmenter le niveau d’affection que les gens peuvent se donner entre eux», explique Marc Laramé, co-fondateur de la faction montréalaise. Le plan d’action est simple: dénoncer la surconsommation, les philosophies derrière les grandes compagnies, les injustices sociales et répandre l’amour. Le tout fait dans une atmosphère de coopération. «On essaie de pousser les gens à se parler», dit Éric Bouthillette.
«Rhinoféroce»
Le Néo-Rhino de la circonscription Rosemont-La-Petite-Patrie fait un clin d’œil aux empereurs romains, promet «du pain tranché et des jeux vidéo». Promesses en l’air, serments rigolos, c’est une brise humoristique. «Nous, plutôt que de rire des gens, on rit de ceux qui rient d’eux», se marre Cacereco. Les dernières statistiques de citoyens s’étant rendus aux urnes démontrent le je-m’en-foutisme aigu d’une population qui ne se reconnaît plus dans l’arène politique. «Ceux qui ne vont pas voter, c’est exactement comme prendre un fusil, le charger, marcher vers un fanatique, lui donner et se retourner en se disant: ‘’Ben non il ne me tirera pas’’.» Prenant la situation par les cornes, les Rhinocéros ont un objectif: une repolitisation sociale. En leur sens, cette quête d’une réappropriation du politique peut se faire tant avec une réponse positive ou négative. «Si on peut motiver les gens à être en maudit contre nous en se disant: ‘’Non, je ne veux pas qu’un gars comme ça soit élu.’’ Pour qu’ils aillent voter, tant mieux!» Pour le Néo-Rhino Jean-Patrick Berthiaume, tout le monde peut être un comique aux revendications politiques : «On est déjà 7 milliards de membres, désabonnez-vous.»
Fruits de leur amour
Pour The Love Police, le meilleur ratio de force est le nombre. Quoique actifs dans les médias sociaux, ils misent sur les contacts directs en prenant la rue d’assaut. «Commence par aller chercher la masse. Déranger la masse. Se mettre dans la masse et se faire entendre», élabore Éric Boutillette. Si la police traditionnelle possède menottes et matraques, The Love Police véhicule ses messages via câlins et phrases ironiques. Pour éviter que les passants se sentent agressés, les membres utilisent la psychologie inversée et modulent le ton donné à leurs informations. «Souvent, quand les policiers arrivent pour nous arrêter, les gens leur disent à eux d’arrêter. Que ce qu’on fait, on a le droit de le faire et qu’ils nous laissent le faire», lance Marc Laramé. Même si l’amour est l’ingrédient secret de la recette, Éric Bouthillette souligne l’importance de ne pas s’éparpiller dans les informations floues ou fausses. «Si tu parles en ‘’déséduquant’’ les gens, tu fais exactement ce que l’autre en face fait.»
Moyens de revendications hors normes, la véritable absurdité ne réside pas selon eux au sein de leur mouvement, mais dans ce qu’ils dénoncent. Comparant littérature pour enfants et politique, Cacereco résume bien cette perception du monde politique : «J’ai trouvé qu’il y avait moins de fiction que dans les trucs de politiciens».
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