Rock ta rue

Les Concerts à emporter

Les groupes de Montréal délaissent les studios et les écrans verts pour tourner des vidéos de musique dans les ruelles et les bars. Après Paris, des Concerts à emporter s’enregistrent de plus en plus dans la Ville aux cent clochers, sans fard ni cosmétiques.

Photo:Frédérique Ménard-Aubin

Une cour intérieure où se côtoient une vieille moustiquaire, une boule disco et une bouteille de propane rouillée. Le chanteur de These United States lance le rythme en tapant une spatule sur les grilles d’un barbecue. Les autres membres sont debout avec leur guitare ou assis dans les escaliers qui mènent aux appartements du rez-de-chaussée. Montréal est de plus en plus le théâtre de ces vidéos alternatives qui captent sur le vif des performances musicales dans une atmosphère intimiste. De nombreux réalisateurs canadiens se prêtent au jeu et font augmenter le nombre de Concerts à emporter sur le site de La Blogothèque.

La productrice des Concerts à emporter Nora Bouazzouni a mis les pieds en 2009 dans le 514. Son objectif? Tourner des vidéos qui font voyager le public, visiter le pays et découvrir ses musiciens. «La scène québécoise, canadienne et torontoise est tellement riche! s’emballe-t-elle. Il y a trop de groupes à découvrir. Beaucoup d’artistes montréalais sont d’ailleurs connus en France. Nous avons aussi pas mal de public du Québec qui fréquente La Blogothèque».

Après plus d’une centaine de Concerts à emporter tournés en majorité dans la Ville lumière, Nora Bouazzouni confie que des endroits comme Montréal sont de véritables bouffées d’oxygène. «On a exploité Paris de haut en bas, de long en large. On se demande encore où on pourrait aller filmer la prochaine vidéo… Ça faisait du bien d’aller à Montréal où il y a plein de trucs à faire.» Montréal se joint ainsi à un mouvement international auquel participent des réalisateurs de Seattle, San Francisco et Tokyo.

Même si les artistes québécois n’ont pas fait augmenter l’achalande sur le site, Nora Bouazzouni précise qu’ils ont réussi à susciter de l’enthousiasme. «Plusieurs nous on dit: ʺEnfin! des groupes de Montréal!ʺ» Nées des esprits de Christophe Abric (alias Chryde), producteur artistique de La Blogothèque et du cinéaste Mathieu Saura (alias Vincent Moon), ces performances inédites tournées en direct ont rapidement trouvé des adeptes. Chaque Concert à emporter se déroule dans un lieu insolite inspiré d’un concept précis: Arcade Fire dans un monte-charge, Land of Talk dans un arbre du parc du Jardin botanique de Montréal, Fleet Foxes dans le Grand Palais de Paris. Les images apparaissent brutes, les voix se mêlent aux sons ambiants, les passants s’arrêtent ou se détournent de ce concert improvisé qui déjoue le quotidien. C’est avec Derrick Belcham, un réalisateur d’origine torontoise, que la productrice Nora Bouazzouni a choisi de pénétrer le cœur musical canadien. Admirateur de la Nouvelle Vague française, celui qui a troqué pour un temps la Ville reine pour Montréal a découvert les Concerts à emporter quelque temps après leur naissance en 2006. Joint entre deux événements du festival Pop Montréal, Derrick Belcham explique que sa collaboration avec La Blogothèque s’est décidée très rapidement. «J’ai rencontré Nora en janvier dernier et elle m’a proposé de travailler pour eux. Personne n’enregistrait alors de Concert à emporter à Montréal. Elle m’a appelée cinq jours plus tard pour me dire que j’allais filmer Wilco!»

Des gens qui s’emportent

Prendre d’assaut les rues, guitare et caméra au poing, ce n’est pas toujours évident, souligne le réalisateur Derrick Belcham. «À un moment donné, on filmait dans une grosse épicerie de Toronto. Le groupe marchait dans les allées. Les gens sont devenus agressifs!» L’indifférence éhontée des passants et le manque de temps pour tourner sont autant de facteurs qui rendent un tournage délicat. Mais y a-t-il des différences entre tourner à Montréal et à Paris? «La neige et le froid!» s’exclame spontanément Nora Bouazzouni en riant. «C’est hyper chiant de se dire qu’entre décembre et mars, on ne peut rien tourner à l’extérieur! Jouer avec des moufles, c’est impossible. Tu ne peux pas demander à un musicien de jouer de la guitare à moins 35 degrés.» Outre les désagréments de la température, Montréal est pour elle un «village» sympathique où il se joue de la bonne musique. Un avis que partage Vincent Moon, qui a déjà tourné quelques Concerts à emporter à Montréal. «La scène montréalaise est vachement intéressante. Vivre ici, c’est beaucoup moins cher qu’à New York par exemple. Les gens ont plus de temps libre pour jouer, ils sortent plus. L’énergie est très forte.»

Pour le réalisateur français, le concept qu’il a défini avec Chryde permet de toucher l’essence de la musique et d’appréhender l’instant avec un regard contemplatif. Cette vision l’a poussé à développer une esthétique de l’authenticité qui a souvent, de son propre aveu, été reprise par des amateurs. En plus de l’utilisation du grain dans l’image et de couleurs désaturées, Vincent Moon précise que son approche du réel est basée sur l’instinct et le regard. «Je suis dans un rapport d’exploration du monde. Il faut savoir regarder et se dire que rien n’est plus intéressant que ce que tu vois.» Même s’il a pris ses distances avec La Blogothèque pour se concentrer sur un cinéma axé sur le détail, presque anthropologique, son nom reste souvent associé aux Concerts à emporter. «Les gens m’envoient leur propre vidéo pour que je les regarde. Ils me demandent mon avis sur les nouveaux Concerts à emporter. Je ne les regarde jamais. Tant que les gens foutent un peu le bordel dans la rue, ça me va.»

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *