Amour à garde partagée

Polyamour 

Juliette peut-elle tomber pour deux Roméos? Les polyamoureux affirment que oui. Après des siècles d’un modèle unique de monogamie dans les couples, une petite communauté sort du placard et conjugue l’amour au pluriel.

Par une soirée enneigée de décembre, un homme roule sur l’autoroute. Le cœur léger, il revient d’une fin de semaine romantique au chalet de sa blonde. Avant de rentrer chez lui, le galant passe acheter un bouquet de fleurs à… son autre blonde! Aucune scène de ménage en perspective, puisque les trois vivent en polyamour. 

«L’échangisme ne me convient pas, assure Jean-François Villeneuve, un polyamoureux de 33 ans. Je préfère développer une complicité, une intimité avec une autre partenaire.» Après quatre ans de relation avec Karine, sa première copine, il rencontre Annie à un mariage. Les jeux de la séduction ont duré quelques mois. «Karine faisait semblant de ne rien voir jusqu’à ce que notre situation devienne concrète. Là, elle était mécontente.» Après avoir hésité, la copine de Jean-François accepte finalement de «partager» son amoureux avec Annie. Depuis bientôt six ans, Jean-François, bien qu’il habite avec sa première blonde, vit aussi des moments intimes avec sa seconde flamme. 

Pour les tenants du polyamour, un néologisme inventé aux États-Unis dans les années 1990, le concept se distancie de la polygamie qui implique qu’un homme puisse avoir plusieurs femmes, mais que ce droit soit interdit à ces dernières.  Par conséquent, un homme qui est en couple avec deux femmes doit accepter que celles-ci puissent avec un autre partenaire. «Le modèle du polyamour séduit beaucoup les femmes puisqu’il implique la réciprocité et les sentiments, contrairement au simple libertinage, explique le psychologue suisse et auteur de l’ouvrage Les vertus du polyamour, Yves-Alexandre Thalmann. Selon lui, le modèle culturel de la monogamie qui s’est imposé dans la société occidentale ne correspond pas à la réalité de plusieurs. «Le polyamour permet une plus grande acceptation de la pluralité des sentiments, contrairement au modèle double standard bourgeois avec l’épouse officielle et la maîtresse clandestine qui force à vivre dans la tromperie et le mensonge.»

Cette quête de pluralité sentimentale a guidé Cassandria et Mélanie, sa compagne depuis trois ans, vers l’aventure de l’amour au pluriel. «Je recherchais un bien-être qu’une seule relation ne pouvait pas combler», soutient Cassandria. D’abord déstabilisée lorsqu’elle lui en fait part, Mélanie finit par accepter. «Je sentais que je pouvais la perdre, si je refusais, avoue-t-elle. D’un autre côté, Cassandria m’a amené à penser que l’avenue du polyamour méritait d’être découverte. Ça demeure mon choix.» Par l’entremise d’Internet, elles rencontrent en septembre dernier Martin, qui réside à Cornwall, en Ontario. «Cassandria l’a trouvé de son goût, mais ça ne cliquait pas avec moi, résume la femme dans la jeune trentaine. Je n’ai pas encore trouvé un nouveau partenaire, mais rien ne presse. Tout est encore très récent.» 

Horaire d’arrache-cœur

Aux curieux qui souhaitent explorer les amours au pluriel : procurez-vous un agenda, s’entendent pour dire les polyamoureux. «Ma maison est à Laval et celle d’Annie est sur la Rive-Nord de Montréal, explique Jean-François. Souvent, on se voit les trois ensemble.»  

«Toute planification demande deux consultations, dit Cassandria. Le polyamour n’est vraiment pas une façon d’échapper à ses problèmes de vie de couple. Ce type de relation demande beaucoup de maturité émotionnelle. Il faut apprendre à communiquer deux fois plus afin d’être le plus équitable possible entre ses partenaires.» Puisque les moments intimes se vivent qu’à deux dans le trio de Mélanie, Cassandria et Martin, ceux-ci ont dû régler au quart de tour leurs activités en vue des derniers congés de Pâques. «Étant donné qu’on sort les trois ensemble en ville le 30 mars, Cassandria partirait avec lui le lendemain, suggère Mélanie. Le vendredi, ils reviendraient à Montréal, où nous ferions une activité ensemble. Samedi, nous resterions entre filles puisque je ne l’aurais pas vu de la semaine et puis dimanche, nous irions les deux chez Martin à Cornwall!»
Les yeux des autres
Bien qu’ils jouissent de l’affection de leurs partenaires, les polyamoureux souffrent de l’intolérance générale et bien souvent, préfèrent roucouler discrètement. «La première préoccupation de mes patients est le regard des autres, affirme sans hésiter le psychologue Yves-Alexandre Thalmann. Les réactions de leurs amis en relation monogame sont souvent très blessantes. Personne ne trouve à redire si un individu a plusieurs amis, pourquoi crierait-on au scandale parce que cette personne a plusieurs amoureux?»  Pour Jean-François, le sujet est plutôt délicat puisque sa copine Annie est la mère d’une jeune fille de 11 ans. «Nous évitons les manifestations amoureuses devant elle, mais il est normal qu’elle commence à se poser des questions. À ses yeux, Karine et moi sommes colocs.»

C’est dans une optique de diffusion et d’échange entre individus vivant une même réalité que Jean-François a mis sur pied en août 2009 l’Association des polyamoureux du Québec. «Mon rêve est que nous soyons trois devant l’autel de l’église pour notre mariage. Je crois que la loi devra tôt ou tard s’adapter à la société qui change et encadrer un phénomène qui existe déjà.»

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