Sites d’injection supervisée
Malgré les avis favorables des médecins et des organismes d’aide aux toxicomanes, Montréal attend toujours sa piquerie supervisée. Mais le ministre de la Santé, Yves Bolduc, fait la sourde oreille.
Coin Sanguinet et Sainte-Catherine, entre les murs de Cactus Montréal, le travailleur communautaire Jean-François Mary discute avec quelques toxicomanes venus se réchauffer, fraterniser et remettre leurs seringues souillées.
L’organisme offre du matériel d’injection neuf, de l’information sur les infections et le VIH ainsi que du soutien psychologique aux consommateurs de drogues injectables, dont plusieurs ont la rue comme dure réalité. «Mais lorsque certains consommateurs nous demandent s’ils peuvent se piquer dans nos locaux, on doit refuser, témoigne Jean-François Mary. Ce serait illégal. On les invite à s’injecter dans la ruelle derrière, malgré le froid. Quelqu’un va vérifier s’ils vont bien vingt minutes plus tard.»
Au grand désarroi de ces toxicomanes, Cactus Montréal n’est pas un site d’injection supervisée. Présents dans plusieurs villes du monde, ces havres judiciaires permettent aux toxicomanes de s’injecter sous supervision médicale. Au Québec, les experts en santé publique, les organismes communautaires et les consommateurs de drogue réclament depuis plusieurs années l’instauration de tels centres.
Dans un rapport déposé en décembre dernier, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a remis la nécessité des sites d’injection supervisée à l’ordre du jour. «Il semble y avoir un certain consensus au sein de la communauté médicale autour des bénéfices que procurent les SIS, tant pour les consommateurs de drogues que pour l’ordre public», signale une des auteures de l’étude, Lina Noël.
La communauté médicale a longtemps tergiversé sur l’aspect éthique des SIS. «Les médecins en sont venus à la conclusion que si l’on ne peut pas éliminer le problème de la toxicomanie par la répression et la désintoxication, il était moralement acceptable de viser à en réduire les méfaits », explique la chercheuse de l’INSPQ.
L’Organisation mondiale de la santé a pu constater les bienfaits des sites d’injection dans plusieurs villes du monde, de Sydney à Rotterdam, en passant par Vancouver, seule ville canadienne munie d’un SIS (voir encadré). Mais au Québec, le sujet demeure controversé. Du moins, selon l’actuel ministre de la Santé, qui hésite à donner son aval.
Question épineuse?
«On a un gouvernement frileux!» s’exclame d’emblée la porte-parole de la Coalition réduction des méfaits, Nicole McNeil. Ce regroupement de 29 organismes communautaires s’est formé à l’été 2008, lorsque l’actuel ministre de la Santé, Yves Bolduc, a fait volte-face en déclarant que le Québec n’était pas prêt à voir apparaître des sites d’injection supervisée (SIS). «À l’époque, nous étions sur le point de proposer la mise en place de sites d’injections à Montréal», indique la porte-parole. Il faut dire que le prédécesseur du ministre, Philippe Couillard, était favorable à l’implantation des SIS. Deux ans plus tard, la coalition attend toujours le feu vert de Québec, qui semble faire du surplace. «On continue d’étudier la pertinence d’une telle mesure, explique l’attachée de presse du ministre Bolduc, Karine Rivard. Pour l’instant, on privilégie d’autres avenues, comme la distribution de seringues.»
En attendant, les problèmes s’accumulent. Les toxicomanes se piquent dans les toilettes publiques, les ruelles et les parcs de la métropole, laissant parfois des seringues souillées derrière eux. Le VIH court. L’hépatite C ronge plusieurs consommateurs de drogues injectables, en majorité cocaïnomanes, et les surdoses les guettent pendant qu’ils se piquent dans des endroits insalubres.
«En refusant l’instauration de SIS, le ministre Bolduc revêt le chapeau moral, et ça ne lui fait vraiment pas bien, soupire Nicole McNeil, de la Coalition réduction des méfaits. On revient au même genre de débat que lorsqu’on a commencé à distribuer des condoms dans les écoles. Aujourd’hui, plus personne ne remet ça en cause, mais au départ, on accusait les écoles de vouloir encourager les relations sexuelles. Ce n’est pas en niant un problème qu’on arrive à le régler.»
Selon le porte-parole officiel de l’opposition en matière de santé, Bernard Drainville, il serait faux de croire que la population québécoise n’est pas prête à accepter l’instauration de SIS. «Ce sont les valeurs du ministre Bolduc qui guident les décisions du gouvernement», soutient-t-il.
Selon Jean-François Mary, travailleur communautaire qui arpente depuis plusieurs années les rues du Quartier latin pour aller à la rencontre des toxicomanes, un site d’injection supervisée serait bien accueilli par la communauté. Il donne l’exemple de l’intégration de Cactus Montréal au centre-ville, à force de sensibilisation. «Avec un SIS dans les parages, c’est certain que les bacs de récupération de seringue seraient moins remplis à l’UQAM» ajoute Jean-François Mary.
Vancouver pionnière
Insite, le seul site d’injection supervisée au Canada, a été instauré en 2003 à Vancouver. Situé dans le Downtown Eastside, le quartier le plus défavorisé au pays, le site accueille de 750 à 800 consommateurs de drogues injectables par jour. Le printemps dernier, la Portland Hotel Society, l’organisme qui chapeaute Insite, s’est rendu jusqu’en Cour suprême de Colombie-Britannique afin de s’assurer que le site puisse rester ouvert.
Le gouvernement fédéral souhaitait mettre un terme à l’initiative en refusant de renouveler le permis spécial permettant aux toxicomanes de se piquer légalement à Insite. La plus haute cour de la province a cependant déclaré inconstitutionnelle la portion de La loi règlementant certaines drogues et autres substances qui empêche le site d’injection supervisée de poursuivre sa mission. Le gouvernement fédéral, qui avait fait appel du jugement, a été débouté par la Cour d’appel de Colombie-Britannique le 15 janvier dernier.
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