«C’est Genevièèèève!» Vingt ans plus tard, elle fait encore un effet bœuf. Le petit nez retroussé et le sourire grand comme son amour pour les enfants, pas de doute, c’est bien la Geneviève de leur enfance. Elle a troqué sa chevelure ondulée, ses chandails informes et ses leggings, uniforme obligé des années 1990, pour des mèches blondes et un style élégant, très 2008, mais ils la reconnaissent. Pour les fans de Bibi, Z99944X, Sophie Dansereau restera toujours Geneviève. En fait, elle n’a pas eu la chance de devenir quelqu’un d’autre; son rôle lui a tellement collé à la peau que l’actrice, déçue, a dû réorienter sa carrière pour mettre du beurre sur son pain.
Sophie Dansereau n’est pas la seule à avoir souffert du syndrome du rôle unique. La malédiction survient lorsque le public amalgame dans son esprit l’interprète et son personnage au point de confondre les deux. Les téléspectateurs québécois, très proches de «leurs» vedettes, sont très forts là-dessus. Parlez-en à Marie Eykel, «le» cas type d’actrice catégorisée. La Passe-Partout qui nous parlait avec candeur de ses «chicanes», ses petits chagrins, a tant marqué l’imaginaire de la génération X – et Y, grâce aux rediffusions de Télé-Québec – qu’elle n’a tout simplement pas réussi à se réinsérer dans le milieu après avoir accroché son habit gris.
André Forcier, un réalisateur québécois, a été touché par l’histoire de l’ex-chouchou des enfants. Dans une scène mémorable – ou traumatisante, c’est selon – de son film La Comtesse de Bâton-Rouge, sorti en 1998, la comédienne apparaît en peignoir entrouvert, poitrine nue. Elle joue Marie L’Heureux, actrice cantonnée dans son rôle de Passe-par-là, un personnage pour enfants, et qui désire que l’on reconnaisse son talent. «Passe-par-là est mon personnage», dit-elle à un producteur abasourdi. «Ça fait 25 ans que je jouis (sic) à la télé pour les enfants, pis y’a pas un sacrament qui veut me faire jouer pour les grands!» Un dernier clin d’œil au cinéma pour Marie Eykel, qui s’est par la suite concentrée sur son nouveau travail d’art-thérapeute.
Comment expliquer qu’un acteur et son personnage se confondent à un point tel que le public, et surtout les réalisateurs, ne peuvent plus les dissocier? Marie l’Heureux et Sophie Dansereau pensent toutes les deux que c’est au niveau du casting que le bât blesse. Les producteurs et réalisateurs ne les voyaient tout simplement pas jouer autre chose que la présence rassurante, maternelle qu’elles incarnaient respectivement dans ces deux émissions-cultes. Des victimes d’un cruel manque d’imagination, somme toute.
Le phénomène me semble, en toute subjectivité, particulièrement présent au Québec, où les stars sont tutoyées comme de bons amis, et le capital de sympathie est inébranlable. Soyez mesquin envers Véro ou Céline et vous saurez de quoi il retourne!
Reste que le cœur du problème ne provient pas nécessairement de l’amour fusionnel du public québécois. Il découle plutôt d’un système d’auditions qui mériterait peut-être une remise en question. Sophie Dansereau avouait à ma collègue Caroline Chrétien qu’elle ne comprenait toujours pas comment fonctionnait cette game, alliage délicat de copinage, d’apparence et, malgré tout, de talent réel.
Est-ce trop risqué d’engager à contre-emploi un acteur catalogué? D’autres l’ont pourtant fait par le passé et cela semble être une solution efficace pour casser une image. David Duchovny, qui a joué l’agent Mulder pendant plusieurs années dans la série-culte The X-Files, en a ainsi surpris plus d’un en décrochant un nouveau rôle principal marquant dans Californication, celui du nouvelliste débauché Hank Moody. La preuve que parfois le risque, ça paie! À quand donc la suite d’Omertà, avec Marie Eykel et Sophie Dansereau dans le rôle de mafieuses perverties?
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