L’escouade policière a plongé l’an dernier les étudiants dans un printemps orwellien, en épiant les plus dissidents. Les taupes, des étudiants manœuvrés par les forces policières, fouinent toujours.
Avril 2012. Soir de manifestation étudiante. Avant même d’avoir eu le temps de scander quelques slogans, Isabelle*, étudiante en communication à l’UQAM, et son groupe d’amis interrompent leur marche. Ils ont vu des policiers les pointer du doigt. Ils savaient qu’ils étaient connus des agents de la paix et ont décidé de s’éloigner de la marche étudiante, sachant qu’ils pouvaient être appréhendés à tout moment. Depuis le début du printemps érable, des étudiants consultés par les policiers sont mandatés de récolter tout renseignement sur leurs confrères. À l’issue de la crise, les agents sources et les informateurs rôdent toujours.
Isabelle se méfie des étudiants en qui elle n’a pas une confiance aveugle, depuis qu’elle a été témoin de la stratégie des policiers dans le dossier étudiant. «J’ai un ami qui s’est fait appeler, au tout début de la grève. Des policiers lui demandaient de fournir plein de renseignements et de devenir un espion en rôdant autour des militants», raconte-t-elle, outrée. Le porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Ian Lafrenière, ne croit pas que les étudiants aient raison de craindre leur entourage. «Des gens qui vont à l’école et qui ne font pas d’actes criminels ne devraient pas avoir peur. On ne va pas rencontrer des gens au hasard», assure-t-il.
Maxime*, un étudiant en droit à l’UQAM impliqué dans la crise, confie pour sa part que beaucoup de ses amis ont été approchés par les policiers, par téléphone ou directement à leur résidence, avant même d’avoir été arrêtés. L’expérience de ses collègues révèle que les étudiants arrêtés se voient promettre une peine moins grande en échange de renseignements. «Je connais même une personne qui a été accusée à partir d’informations qui ne peuvent provenir que de gens impliqués dans les actions militantes», explique-t-il.
Lorsque l’avocate Véronique Robert analyse les dossiers des étudiants qu’elle défend, il lui semble évident que les policiers amassent encore aujourd’hui de l’information sur les militants, qu’ils aient été arrêtés ou non. Elle explique que ce rôle garantit l’anonymat, tandis que celui de délateur implique une promesse de témoigner à la cour. D’après l’avocate, les policiers pourraient aussi avoir eu recours à des étudiants mandatés d’espionner les militants, que l’on nomme des agents sources.
Pour Isabelle, la vigilance à l’endroit de ses fréquentations et la prudence lors des conversations téléphoniques sont devenues incontournables. L’étudiante est certaine d’avoir été placée sous écoute autour du mois de mars l’an dernier, avant même d’avoir été arrêtée pour la première fois. Véronique Robert assure toutefois que l’écoute électronique sans mandat est peu probable, parce qu’elle est lourde de conséquences et qu’elle ne peut servir de preuve. «Les policiers doivent aviser une personne qu’elle est sur écoute électronique, au maximum un an plus tard», ajoute-t-elle.
T’es tu rouge ou vert?
L’avocate dénonce plutôt les pratiques policières associables au profilage politique, en particulier l’infiltration de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) par l’escouade Guet des activités des mouvements marginaux et anarchistes (GAMMA) du SPVM. «Ça, c’est épouvantable! Les étudiants ont porté plainte à la Commission des droits de la personne et ça a été accueilli», soutient-elle.
Isabelle soupçonne des étudiants de faciliter la tâche des policiers lorsque vient le temps de coincer les plus actifs. «J’ai déjà vu des arrestations en souricière où la moitié militaient activement dans les associations ou les comités de mobilisation, note Isabelle. Elle croit que les policiers savaient quelles personnes étaient militantes. «J’étais moi-même déjà au courant que j’étais fichée par les policiers, parce que je me tenais avec des gens qui l’étaient.»
Le professeur en sciences politiques à l’UQAM, Francis Dupuis-Déri, admet que le climat répressif de 2012 a dépassé en gravité celui de 2005, où l’ONU avait déposé une demande d’enquête publique sur les arrestations de masse du SPVM. La projet de loi 78 du printemps dernier a de nouveau suscité des critiques de la part d’experts de l’ONU, inquiets pour le droit d’association des étudiants et indignés par les centaines d’arrestations liées à cette loi spéciale. «De toute évidence, la police jouit ici d’une impunité totale, en matière de répression politique. Elle le sait et c’est ce qui explique son arrogance», prétend Francis Dupuis-Déri.
Le SPVM avertit qu’il ne faut pas «mettre tout le monde dans le même bateau» et que la tâche des policiers concernent des individus, et non des groupes de militants. «On ne veut pas bloquer le mouvement, on veut bloquer les actes criminels, rétorque Ian Lafrenière du SPVM. Le but, c’est de cibler les gens qui commettent des actes criminels dans les manifestations.»
Les agissements des pouvoirs politiques et des forces de l’ordre en ont piqué plus d’un au cours de la dernière année. C’est maintenant au tour des personnalités et organismes défenseurs des droits et libertés de demander une enquête publique sur le travail des policiers au printemps dernier.
*Nom fictif
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Matricule 2.0
Aux dires de l’administrateur du groupe Facebook «Oui à la grève générale étudiante au Québec», parmi 3 293 membres invités, certains profils laissent planer le doute sur leur authenticité. Il se dit prudent lorsqu’il accueille de nouveaux membres. «J’ai des demandes de comptes qui ont cinq amis, dont le nom est Carré Rouge ou Grève étudiante au Québec, laisse-t-il tomber. Ce sont peut-être des faux comptes créés par des indicateurs.» Isabelle croit que s’il s’agissait de faux comptes, ils appartiendraient à des policiers «pas trop bons pour camoufler leurs traces». «Je me souviens d’un profil Facebook qui avait été créé, il avait comme 10 amis et soudainement il était dans tous les groupes de mobilisation», se moque-t-elle.
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