Notre non, votre haine

J’ai subi du harcèlement. Pendant sept mois, un camarade de classe me faisait des avances incessantes. Malgré mon inconfort, je n’ai jamais réussi à lui dire non. J’avais peur de le radicaliser, de lui donner une raison de devenir misogyne.

J’avais 18 ans quand j’ai rencontré Marc* dans le cadre d’un projet d’équipe. Très vite, j’ai réalisé que nous avions des atomes crochus. Il était un bon interlocuteur et il riait à mes blagues. J’étais heureuse de m’être liée d’amitié avec lui. Mais mon bonheur s’est vite transformé en cauchemar.

Rapidement, Marc m’a fait comprendre qu’il voulait plus qu’une amitié. Il a commencé à m’envoyer des centaines de textos par jour, à me suivre à l’école et à essayer de créer des rapprochements physiques entre nous. J’étais mal à l’aise. Tout le monde le remarquait, sauf lui. Cependant, je ne lui ai jamais explicitement dit d’arrêter.

J’avais peur qu’en lui disant non, j’allais lui donner une raison de mépriser les femmes, de nous haïr. Sur les réseaux sociaux, il est facile de trouver des témoignages d’hommes qui prétendent être devenus misogynes après avoir reçu plusieurs rejets consécutifs. Dans certains cas, cette haine se traduit par une violence genrée et, parfois, mortelle.

Je pense notamment à Elliot Rodger, un jeune Américain qui a tué six personnes en Californie en 2014. « Vous, les filles, n’avez jamais été attirées par moi. Je ne sais pas pourquoi vous n’avez jamais été attirées par moi, mais je vais toutes vous punir pour cela », avait-il déclaré dans une vidéo publiée sur YouTube avant sa tuerie.

Fardeau de la faute

Ma peur, je peux la justifier facilement. Ce que je suis incapable de justifier, c’est pourquoi je porterais le fardeau de la faute. La professeure au département de communication sociale et publique à l’UQAM Chantal Aurousseau m’a expliqué que la société attend que les femmes s’affirment, sans nuire aux autres.

En tant que femmes, nous avons de la difficulté à dire non aux hommes insistants. Notre refus est un désagrément qui peut facilement se transformer en quelque chose de sombre. Alors, nous manifestons notre manque d’intérêt le plus discrètement possible en espérant que le message soit reçu. C’est ridicule, mais la majorité d’entre nous ne sait pas faire autrement.

« C’est comme si toute la responsabilité de l’empathie et du souci de l’autre était portée par une partie de l’humanité », avance Mme Aurousseau. Cette réalité, je l’ai souvent ressentie, mais surtout avec Marc. J’avais peur de lui causer du chagrin, même si c’est lui qui me dérangeait. Je m’inquiétais surtout que ce chagrin se transforme en colère qui mettrait en danger les femmes autour de lui.

Je suis fatiguée d’avoir cette responsabilité et je sais que je ne suis pas la seule. Je la partage avec plusieurs femmes et personnes non-binaires.

Imposer une limite

Collectivement, nous devons arrêter d’accepter que certains hommes soient ouvertement misogynes. Nous devons arrêter de justifier leurs discours haineux en disant: « le pauvre, les femmes n’ont pas été gentilles avec lui ».

Dire non, ce n’est pas méchant, c’est imposer une limite. Ce n’est surtout pas une invitation à la haine.

Il est grand temps de nous soulager de ce poids en le redonnant aux hommes. Nous devons déjà affronter le sexisme au quotidien. Craindre de devenir des créatrices de misogynes, c’est de trop. C’est aux hommes de tempérer leurs réactions, de réaliser qu’un rejet n’est pas si grave et de passer à autre chose. Il faut repenser à la manière dont nous éduquons nos garçons. 

Cet été, j’ai appris que, dans les deux dernières années, Marc a harcelé cinq autres femmes. Je me suis sentie responsable. Je me suis dit que si je lui avais dit d’arrêter, elles n’auraient pas traversé ce que j’ai aussi vécu. Nous vivons dans un monde où les femmes n’osent pas dire non et où les hommes n’osent pas l’accepter. Il faut que ça change.

Le mot « non » ne justifiera jamais votre haine.

* Le prénom a été changé afin de protéger l’identité de la personne concernée.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *