L’album, c’est l’objectif de tout(e) artiste, non ? Créer une œuvre de longue durée où l’on peut offrir à son public une expérience intime, émotionnelle ou même narrative. Pourtant, l’album, comme il a existé depuis 1950, me paraît en voie d’extinction.
Les artistes les plus populaires à travers le monde saturent le marché de l’album. Taylor Swift est un bon exemple : elle a publié 6 différentes versions de son plus récent opus, The Tortured Poets Department. Ou encore Drake, qui a publié 6 albums solos dépassant les 20 chansons qui s’éternisent, depuis 2016.
Sinon, plusieurs artistes choisissent de publier des versions deluxe interminables de leurs albums, une pratique qui a explosé en popularité au début de la décennie.
Ce sacrifice de leur intégrité artistique n’est pas surprenant, puisque le revenu est généré par chanson, et non par album. C’est dans l’intérêt de l’artiste et de la maison de disque de créer des albums de 20 chansons, au lieu d’en faire un d’une douzaine de chansons, même si la qualité est diluée.
Nous sommes témoins d’une saturation du marché sans précédent. Je refuse de croire qu’en doublant, voire en triplant la quantité de musique publiée par les artistes, la qualité suivra le même rythme.
Non, je ne sors pas l’argument de votre mononcle qui, à chaque souper de famille, dit qu’il n’y a plus de « vrai(e)s » musicien(ne)s. En effet, les artistes contemporains que j’ai cité(e)s sont absolument capables de produire des albums et des morceaux de qualité.
En revanche, j’ai l’impression que la direction de leur marketing et la production d’albums des dernières années ne sont que de bons vieux cash grabs.
Professeur au Département de marketing de l’ESG UQAM, Alexis Perron-Brault considère que l’avènement des listes de lecture a également un impact sur les albums.
« Les listes de lecture, indirectement, nuisent aux albums parce que ça nous encourage à écouter davantage certaines pistes de certains albums, plutôt qu’un seul truc à la fois. » Selon lui, le mythe de l’album est encore présent chez les « adeptes finis » et chez certain(e)s artistes. L’album demeure au sommet de la pyramide à leurs yeux.
Il faut remonter l’horloge aux années 1960 afin de mieux comprendre cette autopsie. Une décennie que l’on qualifie trop souvent, mais avec raison, de « période de grands changements ».
Les albums ont connu une évolution importante dans la musique populaire, tant dans la forme que dans le contenu : hausse en popularité des albums doubles, perfectionnement de l’album-concept, pochettes d’albums de plus en plus élaborées, etc.
Des groupes comme les Beatles et Pink Floyd, et des artistes solos comme Marvin Gaye et Stevie Wonder sont parmi ceux qui ont poussé l’album à ses limites.
L’album entra dans une période que l’on pourrait qualifier d’âge d’or. Il était devenu, pour les artistes, l’un des meilleurs moyens de transmettre leur passion, leur message et leur direction artistique.
Cependant, plus de 40 ans après cette période, le streaming est venu bouleverser la façon de créer et de promouvoir la musique, particulièrement la façon de construire des albums.
En revanche, la place de l’album au sommet de la pyramide des priorités semble remise en question. Les spectacles et la présence sur les médias sociaux prennent plus de place qu’il y a 10 ans.
Tout n’est pas morose. Même si j’ai l’impression que beaucoup de grands noms prennent une direction moins inspirée pour leurs albums, nombreux sont ceux qui persistent à créer des œuvres ambitieuses, créatives et innovatrices. Je lève mon chapeau aux Bon Iver, Hubert Lenoir, Lisa LeBlanc, Kendrick Lamar, Fiona Apple, Klô Pelgag et Tyler, The Creator de ce monde.
Je le lève également à ceux et celles qui prennent le temps de bâtir un univers pour chaque album, qui insistent à créer des projets cohésifs et qui traitent encore la construction d’un album comme une forme d’art à part entière ; comme d’autres avant l’ont fait et, je l’espère, comme d’autres après le feront.
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