Devenir tatoueur
Virtuoses de l’encre à l’image de rockstar, les tatoueurs mettent leur talent au service des adeptes toujours plus nombreux de ces dessins éternels. Plusieurs rêvent de joindre les rangs de cette caste réservée, mais se butent le nez à l’absence de formation et à une lente et pénible route vers le succès.
Alors qu’elle poursuivait un baccalauréat en art à l’UQAM, Audrey Poulin s’ennuyait. «L’art contemporain, très conceptuel, je me suis rendue compte que ça ne m’intéressait pas vraiment. Ce qui me fait tripper, c’est le dessin.» Aujourd’hui, l’artiste a trouvé le canevas idéal pour coucher son talent: le corps humain.
L’automne dernier, celle qui a toujours rêvé de devenir tatoueuse a finalement trouvé un mentor, après de fastidieuses recherches. Une amie lui a présenté la tatoueuse de chez Cracheur d’Encre Véronique Demers, qui l’a prise sous son aile.
Ne cherchez pas de formation professionnelle en tatouage: ce métier singulier est l’un des rares qui s’apprennent encore par compagnonnage, à moins d’être un autodidacte endurci…et courageux. «Pour ma part, j’ai appris par moi même, en me pratiquant sur mes jambes, confie Véronique Demers, qui cumule sept années d’expérience. C’est la première fois que je prend une apprentie.»
Un engouement grandissant
«Je n’ai jamais vu autant de gens tenter leur chance dans le monde du tatouage», s’étonne Véronique Demers. De plus en plus d’aspirants tatoueurs viennent frapper à la porte du studio de la rue Ontario dans l’espoir de devenir apprentis. Peut-être en raison des télé-réalités L.A et Miami Ink, qui mettent en scène des tatoueurs au style de vie glamour flirtant avec des vedettes, soupçonne Véronique Demers. «Ces émissions mettent en scène la crème des tatoueurs américains. Kat Von D et sa gang, ce sont des prodiges. Il ne faut pas croire que la vie de tatoueur ressemble à ça.»
Yan David, tatoueur chez Glamour Tattoo, remarque le même engouement. «Il y a pas mal de jeunes qui trouvent ça cool et qui ne sont pas conscients des difficultés. Aujourd’hui, des shops de tatouage, il y en autant que des boulangeries: beaucoup de tatoueurs mais peu d’occasions d’emploi.» Yan David refuse de prendre des apprentis, mais a accepté de partager à quelques reprises sa réalité quotidienne avec une poignée d’intéressés.
Une chance précieuse, car le milieu du tatouage a la réputation d’être une chasse gardée. «Plusieurs tatoueurs refusent d’accepter des apprentis pour s’éviter de la compétition, affirme Véronique Demers. Les tatoueurs ont toujours eu une image un peu mystérieuse, cool et certains ont de gros egos.»
Des débuts difficiles
Ne devient pas tatoueur qui veut. D’autant plus que les débuts sont assurément ardus: les chanceux qui trouvent un mentor suivent une formation durant des mois, voire des années. Cet apprentissage se paie par de longues heures de travail bénévole dans les studios. Sébastien Legros, lui aussi apprenti chez Cracheur d’Encre, passe deux ou trois jours par semaine dans l’échoppe de tatouage de la rue Ontario. Il s’occupe de stériliser l’équipement et de répondre aux clients. «J’ai jamais fait autant de progrès que depuis que je suis ici», dit celui qui a décidé l’automne dernier de tracer son destin à l’encre. En échange de ses heures, il peut bénéficier des conseils des tatoueurs expérimentés et utiliser les chaises du studio pour s’exercer sur ses «cobayes». Car pour pratiquer, les futurs tatoueurs doivent souvent convaincre famille et amis de courageusement prêter leur peau au développement de leur portfolio.
En outre, les apprentis tatoueurs doivent fournir leur propre équipement, un investissement qui frôle facilement les 1 500 dollars. «Les premières années sont des années de vaches maigres, confirme Véronique Demers. Je me souviens, au début de ma carrière, je crevais littéralement de faim. Mais si c’était à recommencer, je le ferais demain matin. C’est la plus belle job au monde», confie-t-elle, les yeux brillants derrière ses grosses lunettes à monture noire.
Normes inexistantes
La formation en tatouage devrait-elle investir les classes des centres de formation professionnelle? Non, répondent à l’unisson les deux apprentis de chez Cracheur d’Encre. Malgré toutes les difficultés, ils croient à la méthode du compagnonnage. «À l’école, t’aurais des gens qui font ça juste pour être cool, estime Audrey Poulin. Pour être tatoueur, ça prend plus qu’une attitude: il faut être passionné. Dans les cours, que t’aies A+ ou C, tu réussis quand même. Dans le tatouage, tu dois avoir A+.»
Tous soulignent d’ailleurs l’importance de bien choisir son tatoueur, en feuilletant son portfolio et en discutant avec lui. Chacun ayant son style de dessin, les tatouages de type «tribal» seront bien réussis par un alors qu’un «dauphin sur coucher de soleil» sera la spécialité d’un autre. Une bonne formation est aussi importante en raison des considérations sanitaires derrière cette pratique. La stérilisation de l’équipement et des aiguilles ainsi que la propreté des installations est primordiale.
Aucune norme ne régit actuellement les studios de tatouage et le ministère de la Santé ne prévoit pas en instaurer. «On n’a pas encore eu de cas de transmissions de VIH ou d’hépatite dues aux tatouages, explique la relationniste du ministère, Karine White. Bien qu’il soit parfois difficile d’identifier la source des infections, on considère que le risque est faible dans le cas des studios de tatouages.» Pour sa part, Véronique Demers verrait d’un bon œil l’établissement de normes sanitaires, afin de préserver l’image positive et professionnelle des tatoueurs.
Autrefois subversif et marginal, le tatouage est désormais sorti des prisons et des vans de tournées pour être adopté par une part grandissante de la population. «J’ai vu des banquiers aux corps recouverts de tatouages sous leurs vestons cravates ou, l’autre jour, cette dame de 67 ans dont le mari était mort et qui était tout heureuse de pouvoir enfin se faire tatouer», raconte Stéphane Couture, un autre membre de l’équipe de Cracheur d’Encre. Gageons que les tatoueurs de demain seront prêts à relever les manches de leurs futurs clients autant que les leurs…
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