Montréal, le carrefour de la diversité linguistique

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 mars 2023

Entre l’arabe et le créole haïtien en passant par l’espagnol ou le mandarin, la métropole québécoise brille par sa richesse linguistique. Mais au nom de la protection du français, plusieurs tentent d’aplanir cette diversité. Je ne nie pas l’importance de protéger la langue française au Québec, bien au contraire. J’estime tout de même important d’honorer les multiples langues parlées sur le territoire québécois.

Cette pluralité des langues résulte des flots d’immigration qui font les couleurs du paysage multiculturel montréalais. Selon Statistique Canada, plus de 114 000 personnes immigrantes se sont installées à Montréal entre 2016 et 2021. 

Toutes leurs langues se mélangent et nourrissent l’argot (ou en anglais, le slang) montréalais. Depuis les dernières années, il intègre de plus en plus des mots de l’arabe et du créole haïtien. Pensons notamment à bahay (chose), styfe (fille), cob (argent), kho (frère), patnais (ami)… 

Selon un article des linguistes Mireille Tremblay et Hélène Blondeau, publié en 2016 dans la revue Cahiers internationaux de sociolinguistique, l’adoption de l’argot fait partie du « processus de construction de l’identité et d’intégration sociale » des jeunes Montréalais et Montréalaises issu(e)s de l’immigration. Contrairement à ce que plusieurs détracteurs et détractrices affirment, cette diversification du slang dans la métropole n’est pas signe d’un appauvrissement de la langue française. Au contraire, je juge que c’est une façon pour les Montréalais et les Montréalaises de s’ouvrir à d’autres cultures.

La langue est une sorte d’organisme vivant : il se nourrit du monde qui l’entoure pour exister et son vocabulaire ne cesse de s’enrichir au fil des générations. Une langue ne peut être fixe, elle est appelée à constamment évoluer. Mireille Tremblay et Hélène Blondeau expliquent qu’ « historiquement, le français québécois a emprunté à deux sources : le fonds [autochtone] et, plus tardivement, à l’anglais. » 

Une richesse occultée

Cette pluralité linguistique montréalaise semble faire peur à ceux et à celles qui tentent à tout prix de défendre la langue française au Québec. « On veut tellement défendre le français qu’on rejette l’existence d’[une multitude] d’autres langues », déplore Caroline Payant, professeure-chercheuse au département de didactique des langues à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Prenons l’exemple de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (loi 96), entrée en vigueur au Québec en juin 2022. Celle-ci a mis à jour la Charte de la langue française, plus connue sous la loi 101. Cette réforme vise à renforcer la protection et la promotion de la langue française à travers la province. Cette loi a été adoptée avec son lot de débats et de controverses.

Selon l’UNESCO, le français est la dixième langue la plus difficile à apprendre, mais le gouvernement québécois a du mal à prendre en compte ces obstacles. Avec la loi 96, les immigrants et les immigrantes ne peuvent plus accéder à des services gouvernementaux dans leur langue maternelle six mois après leur arrivée dans la province : les communications se font seulement en français. « En tant que personne qui a commencé à apprendre le français il y a dix ans et qui enseigne en français aujourd’hui, ce que le gouvernement demande de faire en six mois est impossible », estime Siavash Rokni, chargé de cours à la Faculté de communication à l’UQAM. Force est de constater que la loi 96 désavantage plusieurs groupes minoritaires. 

Pourtant, le Québec aurait tout intérêt à être plus sensible à la réalité des nouveaux arrivants et des nouvelles arrivantes, notamment sur le plan linguistique. Il est important de souligner que la province fait face à un vieillissement de la population et a besoin de personnes immigrantes pour maintenir sa prospérité économique. 

Entre acquérir des vêtements de saison, payer un loyer, meubler son logement et s’acclimater à une nouvelle culture, apprendre le français peut représenter un défi de taille pour les personnes immigrantes. Je côtoie plusieurs nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes qui me rapportent vivre une forme d’isolement social qui rend difficile l’apprentissage de la langue au Québec. Le manque de communication avec les francophones les empêche de pratiquer et d’améliorer leur français.

Comprendre les normes sociales, les traditions, les valeurs et les attitudes propres à la culture québécoise peut être long pour les personnes venant de s’installer. Celles que je côtoie m’ont souvent rapporté être victimes de stigmatisation, de discrimination ou de préjugés en raison de leur accent ou de leur niveau de français, ce qui peut affecter leur estime de soi et leur volonté d’apprendre cette langue.

Une ouverture sur le monde 

Nous devons éviter de tomber dans le piège de la « culture dominante », soit de considérer le français comme supérieur aux autres langues. À mon sens, les échanges linguistiques enrichissent notre compréhension du monde, élargissent nos perspectives et renforcent notre empathie.

Les arts seraient un outil intéressant pour créer des ponts entre les différentes communautés linguistiques du Québec. Par exemple, la pièce de théâtre Manikanetish de Naomi Fontaine, présentée du 8 mars au 8 avril 2023 au Théâtre Jean-Duceppe, est jouée majoritairement en français tout en intégrant des parties en langue autochtone. Cette immersion permet de faire découvrir une autre culture.

J’ai conscience que le français est minoritaire au Canada et que la population québécoise peut se sentir menacée, comme elle est entourée de provinces anglophones. Cependant, il est important de souligner toutes les cultures et les langues qui composent le Québec, de les célébrer et de les laisser s’exprimer librement. C’est avec ces échanges culturels et linguistiques que nous pourrons créer un monde plus tolérant.

Mention illustration : Malika Alaoui | Montréal Campus

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