Apprendre en anglais dans un cours en français

Alors que le sempiternel débat autour de la langue française refait surface en raison du projet fédéral de réforme de la Loi sur les langues officielles, plusieurs étudiants et étudiantes de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) se butent encore à du matériel pédagogique obligatoire en anglais et ce, dans des cours donnés en français.

Ce sont souvent des lectures, parfois des capsules vidéo sans sous-titres à visionner. Sciences humaines, communication, sciences de l’environnement, arts : selon les informations recueillies par le Montréal Campus, une foule de départements et de facultés sont concernés. Bien que chaque cas soit différent, le corpus obligatoire en anglais est fréquent à l’UQAM, et la Politique 50 relative à la langue française de l’établissement permet aux professeurs enseignants et professeures enseignantes une certaine liberté. 

En bref, l’université « préconise l’usage du français pour l’ensemble des activités académiques et du matériel pédagogique ainsi que pour tout support à ces activités », indique la directrice des relations de presse de l’UQAM, Jenny Desrochers. La Politique 50 fait toutefois état d’exceptions pouvant justifier l’utilisation de contenus en anglais. Selon sa directive II relative à la langue d’enseignement, certaines activités peuvent se dérouler dans une autre langue que le français. Les cours de langues ou d’enseignement de l’anglais langue seconde sont ainsi exemptés. On mentionne aussi « les cours visant l’acquisition de la terminologie propre à une discipline ou à un champ d’études », sans cependant nommer les disciplines pouvant être concernées.

À ce propos, Mme Desrochers cite en exemple du contenu indisponible en français, ou encore qui ne représente pas « la meilleure option pour couvrir complètement un contenu donné », explique-t-elle. « L’offre d’alternatives en français en complément à de la documentation en anglais est toujours souhaitée et encouragée […] pour respecter l’esprit de la politique », poursuit la directrice des relations de presse.

Le Vice-rectorat à la vie académique et le Secrétariat général sont responsables de la Politique 50 de l’UQAM. Ni le vice-recteur à la vie académique, Jean-Christian Pleau, ni la secrétaire générale, Marylène Drouin, n’étaient disponibles pour répondre aux questions du Montréal Campus

De l’avis du président du Syndicat des professeures et professeurs enseignants de l’UQAM (SPPEUQAM), Olivier Aubry, cette imprécision relative aux exceptions prévues par la politique est volontaire. Selon lui, l’administration veut « laisser une certaine souplesse aux professeurs ». Cette flexibilité peut néanmoins laisser place à l’interprétation.

Commencer avec un désavantage

L’étudiante au baccalauréat en médias numériques Ariane Dufour doit lire deux textes en anglais d’une vingtaine de pages chaque semaine dans l’un de ses cours. Elle soutient que les raisons pour lesquelles les contenus anglophones sont priorisés sont limpides. « Mon professeur a déjà dit en classe qu’il nous faisait lire un texte parce qu’il le préférait, tout simplement », dit-elle. L’étudiante affirme aussi qu’elle a déjà passé un examen – en français – qui regorgeait de termes appris en anglais, mais qui n’avaient pas été traduits. Si bien que des collègues de classe utilisaient des outils de traduction en pleine évaluation.

Ariane Dufour est bilingue : lire en anglais n’entrave pas ses apprentissages outre mesure. Ce n’est cependant pas le cas de Maude Larin-Kieran, étudiante au baccalauréat en télévision. Dans son cours d’histoire des communications, certaines lectures sont en anglais. Cette session, elle en a trois : un chiffre qui peut paraître bas, mais qui lui donne du fil à retordre. « Je sens que je pars avec un désavantage comparativement aux élèves bilingues », confie-t-elle. Tout comme dans le cas d’Ariane, Maude estime qu’il s’agit d’un choix personnel de la part de son enseignant. Elle considère la situation « vraiment problématique ».

Mis au fait de ces témoignages, M. Aubry pointe du doigt une fausse croyance bien ancrée à l’intérieur du corps professoral de l’université. « On part du principe selon lequel la majorité des étudiant(e)s peut lire en anglais », soutient-il. 

Pourtant, il existe bel et bien des uqamiens et des uqamiennes qui ne maîtrisent pas l’anglais. Parmi eux, les étudiants et les étudiantes de l’étranger ne sont pas à négliger, selon le président du SPPEUQAM. Devoir lire et comprendre des textes et des vidéos obligatoires dans une langue qui leur est inconnue ne fait « qu’augmenter le choc [lié à l’arrivée dans un nouveau pays] », juge M. Aubry.

Une foule d’options 

Aux yeux d’Ariane et de Maude, les solutions pour remédier à ce frein à l’apprentissage sont multiples. Faire en sorte que les documents soient optionnels et non obligatoires, exiger une justification de la part des enseignant(e)s qui les utilisent, ou même fournir un avertissement aux étudiant(e)s inscrit(e)s avant leur arrivée dans un baccalauréat où les sources pédagogiques en anglais sont abondantes. En sexologie, par exemple, ces dernières représentent plus de la moitié des lectures obligatoires, selon une étudiante inscrite dans le programme. La traduction des textes, imposée par certains cégeps dont les politiques linguistiques sont plus sévères, constitue également l’une des propositions des deux jeunes femmes.

Maude, en discutant avec le Montréal Campus de cet enjeu qui incommode son cheminement scolaire, s’étonne de l’inaction de l’Université en la matière. Ce n’est pourtant pas hier que les débats autour de la langue française ont commencé à créer polémiques à l’UQAM. L’offre de nouveaux cours en anglais à l’École des sciences de la gestion (ESG), qui avait provoqué une levée de boucliers en 2009, en témoigne. Cinq ans plus tard, en 2014, l’ex-rédactrice en chef du Montréal Campus Sandrine Champigny s’indignait dans ces pages du caractère obligatoire de plusieurs lectures en anglais à l’Université*. Depuis, les années passent, mais les maux restent : rien n’a réellement bougé. 

Les deux étudiantes soulèvent enfin l’importance que dit accorder l’UQAM à la langue française, qui détonne avec le modeste encadrement du matériel pédagogique en anglais, selon elles. « On perd des points, nous, si on n’a pas un bon français dans nos travaux », déplore Maude. « J’ai choisi de suivre mes études en français, poursuit-elle, et ce n’est pas pour rien. »

Mention photo Édouard Desroches | Montréal Campus

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