Après deux semaines de formation et l’acquisition de trois crédits universitaires, huit femmes ont terminé leur passage à l’école d’été pour femmes autochtones dirigeantes de l’UQAM, qui s’est tenue du 31 juillet au 11 août. Pour la plupart d’entre elles, il s’agissait là de leurs premiers pas universitaires.
« J’ai compris les règles du jeu. Un diplôme donne un statut différent. Les gens écoutent ceux qui en ont », explique Daisy Bellefleur, nouvelle étudiante autochtone en sciences politiques de l’UQAM et participante à l’école d’été.
Il n’est pas usuel de voir des formations strictement réservées aux autochtones créditées et validées par des cadres institutionnels. Considérant que peu d’autochtones franchissent le seuil de l’université, il est important d’adapter le contenu et la méthodologie des cours offerts, explique Jeanne Strasbourg, coordinatrice de l’événement et étudiante à la maîtrise en sciences politiques travaillant sur l’expérience des femmes autochtones élues.
« Il n’y a jamais de reconnaissance formelle des formations de ce type. Si on avait offert une formation non créditée, ça aurait été le quart du travail! », affirme Josée-Anne Riverin, du Service aux collectivités de l’UQAM.
Le projet, qui sort du modus operandi habituel de l’UQAM, a été mis sur pied par l’association Femmes autochtones du Québec en partenariat avec la Faculté de science politique dans le but de reconnaître une formation théorique, historique et pratique visant l’émancipation et l’outillage de femmes qui occupent, ou brigueront un jour, des postes de pouvoir dans leur communauté.
« Pour les autres participantes, ç’a dû être impensable de faire un petit bout de chemin à l’université », commente Daisy Bellefleur, qui a vu en ses consoeurs de classe plus âgées des modèles de force et de courage grâce aux témoignages entendus.
Françoise Ruperthouse est l’une des participantes qui a alimenté les sujets présentés en classe tels la décolonisation, la rencontre des univers autochtones et non autochtone, l’affirmation de l’identité ou encore les enjeux socio-économiques vécus par les Premières nations. Face au récit de Mme Ruperthouse, la jeune Daisy Bellefeuille reste en position d’écoute, impressionnée devant l’expérience de cette militante et membre du Conseil de bande de Pikogan, qui a été projetée à l’avant-scène médiatique lors de l’enquête sur les femmes disparues à Val-d’Or.
De la ligne à pêche à la ligne orange
L’étudiante qui commencera des études en septembre est l’une des seules de sa communauté innue de Nutashkuan à poursuivre sur les bancs d’école. « Je veux que les autres sachent que je me suis rendue loin », affirme fièrement la jeune femme de 21 ans. Son parcours scolaire, loin d’être linéaire, l’a amenée dans six villes différentes et jusqu’à 1200 kilomètres de chez elle.
L’aspirante bachelière se souvient d’avoir été régulièrement intimidée dans son école secondaire d’Havre-Saint-Pierre, notamment. « On nous interdisait de parler notre langue. On m’avait enlevé quelque chose, je me sentais dépossédée », explique-t-elle.
Dès l’âge de six ans, elle a dû abandonner la préparation de la bannique, le pain traditionnel amérindien, pour préparer son sac d’école. Elle se rendait alors à Sept-Îles, dans l’école non autochtone où elle a commencé sa scolarité, à quatre heures de route de chez elle.
« L’université me fait peur! Mais je crois que ça va être moins pire qu’au secondaire, je m’attends à rencontrer des non-autochtones plus responsables et respectueux que ceux que j’ai connus avant », explique-t-elle. L’UQAM accueille environ une soixantaine d’étudiants autochtones actuellement, une réalité difficile à quantifier puisqu’aucun processus dans le recensement ne permet d’identifier concrètement les étudiants issus des communautés autochtones.
Après avoir fréquenté ces chefs de bande, élues et meneuses du monde communautaire qui ont participé à l’école d’été, Daisy se dit remplie d’espoir. « Les femmes assises à côté de moi, elles sont deux générations après les pensionnats, elles l’ont pas eu facile, ce sont des femmes admirables », scande avec véhémence l’étudiante.
Les femmes autochtones sont en minorité dans les postes de direction, mais également sous-représentées dans le personnel enseignant. À l’UQAM, on dénombre deux femmes autochtones dans l’ensemble du personnel enseignant. « Il ne faut pas être surpris de ne pas voir plus d’autochtones chargés de cours ou professeurs. L’accès aux études postsecondaires est souvent difficile, devenir doctorante ou chercheure l’est encore davantage », explique Josée-Anne Riverin, du service aux collectivités de l’UQAM. Les premiers pas universitaires des ces femmes revêtent un caractère d’exception qui fera un jour office de tradition, espèrent les organisatrices.
Photo: Martin Ouellet Montréal Campus