À fleur de peau

Paranoïa. Pensées oppressantes. Pour certains, le début de la vie adulte devient le berceau de troubles obsessifs compulsifs. 

Rachel est assise derrière un pupitre d’une salle de classe vide de l’UQAM. Son  corps est tendu et ses mains légèrement tremblotantes. Les mots se bousculent les uns sur les autres alors qu’elle raconte l’année entière où elle a dû se confiner chez elle, livrée à son obsession pour sa peau. Elle souffre de la peur d’une dysmorphie corporelle, une forme sévère de troubles obsessifs compulsifs (TOC) de plus en plus répertoriée chez les étudiants. Au Canada, près de 2% de la population vit avec une forme de TOC. Les premiers symptômes du problème de santé mentale apparaissent en moyenne à l’âge de Rachel, 22 ans, soit en plein cœur des études supérieures.

La plupart des personnes souffrant de la maladie ont vécu des épisodes de TOC durant l’enfance et l’adolescence. C’est au début de la vie adulte que la situation commence à être problématique, explique la psychologue et coordonnatrice du centre d’études sur les TOC de l’hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine,  Natalie Koszegi. «Il s’agit d’une période de transition importante où les situations anxiogènes se multiplient. La vie professionnelle débute, les relations deviennent plus sérieuses et les responsabilités s’accumulent», précise-t-elle. Une part du problème serait génétique. Selon la psychologue, 20% des individus diagnostiqués avec des TOC auraient des parents qui en souffrent aussi.

Pour Rachel, c’est le moindre défaut de sa peau qui fait l’objet d’une obsession. Dès qu’une rougeur, un bouton ou une cicatrice apparaît, l’étudiante ressent le besoin de la faire disparaitre par tous les moyens possibles. Elle admet, honteuse, travailler et étudier pour pouvoir un jour se payer toutes les chirurgies esthétiques qu’elle désire. Elle n’est pas seule. Selon Natalia Koszegi, 6 à 15% des clients ayant recours à ce genre de chirurgies souffrent de la peur d’une dysmorphie corporelle.

Pour la psychologue, la valorisation de l’apparence physique est indéniable. «Depuis les dernières années, on assiste à une vive recrudescence des cas de troubles alimentaires et de peur d’une dysmorphie corporelle», indique-t-elle. Aujourd’hui, plus de 350 000 Canadiens souffrent du même trouble que Rachel. Selon les statistiques du centre de recherche Fernand-Séguin,  2 à 13% des étudiants présenteraient des symptômes de la maladie.

Ni vu ni connu

Les études sur les jeunes adultes souffrant de TOC sont plutôt rares, voire inexistantes, explique la coordonnatrice du centre d’études Fernand-Séguin à l’hôpital Louis-Hippolyte-Lafontaine, Karine Bergeron. «Les gens qui souffrent de cette maladie attendent souvent près de 10 ans après les premiers symptômes avant de consulter. Ils ont en général entre 30 et 40 ans la première fois qu’ils osent en parler», ajoute-t-elle. Après qu’un collègue de classe lui ait signalé une rougeur sur son visage, Rachel n’était plus capable d’aller à l’Université et restait enfermée chez elle. Après plusieurs mois sans se sentir capable de franchir la porte de son domicile, le besoin de consulter et de chercher de l’aide est devenu criant. «Je prenais une douche par semaine et mangeais une fois au trois jours. Je m’évanouissais et je rampais par terre avec mes ongles. C’était ça ma vie», raconte-t-elle en ponctuant chaque mot d’un petit coup nerveux sur la table.

Ce type de maladie mentale procure des pensées envahissantes à la personne qui en souffre, au point de l’empêcher de fonctionner normalement, explique la psychologue clinicienne. Comme c’est souvent le cas,  Rachel a éventuellement développé des idées suicidaires. «Je me disais : “je suis un monstre, il faut que je fasse des chirurgies pour changer, sinon je me suicide.” J’étais certaine que je n’allais plus être vivante, que je n’allais jamais retourner à l’école», raconte la jeune femme.

Natalia Koszegi explique qu’une thérapie axée sur les pensées envahissantes et les comportements permet à 70% des gens souffrant de TOC de s’en sortir. «La médication est recommandée dans les cas où les symptômes apparaissent rapidement et de manière vive, ce qui empêche la personne de rester fonctionnelle, comme c’était le cas de Rachel», explique-t-elle.

Elle rappelle toutefois que les TOC sont une maladie chronique qui revient et repart au cours d’une vie, sans jamais réellement disparaître. Ces derniers jours, Rachel se sent en rechute. Un morceau de peau arraché sur son nez a créé une marque invisible pour tous, sauf elle. Démolie, la jeune femme craint de ne jamais pouvoir vivre sans se préoccuper de l’apparence de sa peau. «Ce sera quoi lorsque je vais vieillir et avoir des rides? Juste à y penser, je panique.»

Aujourd’hui, elle est de retour à l’université, après avoir suivi une thérapie et avoir commencé une médication pour mieux gérer son trouble. Les TOC apaisés, sa formation scolaire devrait bien se dérouler, croit-elle, avec l’ombre d’une égratignure sur son parcours.

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Des domaines professionnels plus à risque

Une bonne partie des patients qui consultent pour un problème de TOC au centre de recherche Fernard-Séguin sont issus du milieu de la santé, bien qu’aucune étude n’ait établi de lien entre le taux de TOC et le domaine professionnel. «Des médecins nous racontent aussi que les TOC sont présents dans la vie de plusieurs de leurs collègues», assure la psychologue Natalia Koszegi. Les gens souffrant de TOC ont, selon des études antérieures, un QI plus élevé que la population moyenne. Ce sont des gens introvertis, qui aiment réfléchir et sont très investis au plan intellectuel, avance-t-elle. Les personnes qui ont des TOC raisonnent différemment, soit en terme de possibilités. Ils ne s’arrêtent pas aux perceptions, ils poussent plus loin. C’est ce raisonnement qui exacerbe leur insécurité, explique la spécialiste.

Photo: Flickr

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