Montréal, ville de jazz?
Adulée parce qu’elle accueille le plus grand festival du genre, Montréal n’est pas pour autant l’Eldorado des jazzmen. Loin des grandes foules, les musiciens locaux peinent à vivre de leur art et ruminent un ressentiment mal contenu à l’endroit du Festival International de Jazz de Montréal.
Juillet. Les rues de la métropole se remplissent de mélomanes venus des quatre coins du monde. Leurs tympans vibrent et se délectent de ce que la planète jazz a de mieux à offrir: des rythmes chauds de la bossa-nova… aux notes écorchées du blues. Plusieurs jazzmen de la métropole déplorent les frontières résolument floues tracées autour du genre par le Festival International de Jazz de Montréal (FIJM). Coincés entre Ben Harper et Stevie Wonder, ils sont peu nombreux à profiter d’une scène à la hauteur de leur talent.
Le FIJM, dont le budget annuel avoisine les 30 millions de dollars, bénéficie de généreuses subventions de Québec et d’Ottawa. L’été dernier, l’événement inaugurait en grande pompe l’Astral, une salle vouée à faire vivre la magie du festival toute l’année. Mais les jazzmen locaux qui espéraient voir les projecteurs se braquer sur eux sont déçus. Peu de Montréalais se retrouvent au sein d’une programmation éclectique où le jazz n’est pas toujours à l’honneur.
«Le Festival est censé promouvoir la création, mais il préfère dépenser des fortunes pour inviter des stars internationales, s’insurge Louis-Philippe Gingras, jeune guitariste diplômé du prestigieux baccalauréat en jazz de l’Université McGill. Franchement, c’est bien beau d’avoir Bob Dylan à Montréal, mais ça n’a rien à voir avec le jazz.» Des 17 millions de dollars qu’a coûtés la Maison du Festival Rio Tinto Alcan, dont l’Astral fait partie, dix proviennent du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.
Des miettes pour la relève
«De quoi faire vivre la scène locale de jazz pendant des années!» s’exclame le président de l’Off Festival de Jazz, Christophe Papadimitriou. Voilà qui résume tout le malaise ressenti par les musiciens montréalais devant l’exubérance de ce qu’ils désignent avec sarcasme comme le «carnaval de jazz de Montréal». «Le public et les organismes subventionnaires croient que le jazz est bien soutenu, que tout va pour le mieux, explique le président. Mais pour les musiciens de la scène montréalaise, tout n’est pas si rose.»
Travail on the side, suppléance en musique dans les écoles primaire et autres boulots éphémères: les musiciens doivent allier polyvalence et détermination afin de vivre de leur art. Les jazzmen peuvent rarement se limiter à ce seul style musical. La plupart voguent de contrat en contrat, pour des artistes populaires, pour la télévision, la publicité, etc. «En moyenne, un gig dans un bar peut rapporter autour de 100$ pour la soirée, soutient Chistophe Papadimitriou. Ça dépend de l’affluence.»
La directrice de la programmation, Caroline Johnson, croît que le FIJM offre de nombreuses occasions aux jazzmen québécois. «Le festival propose une série complète consacrée aux talents locaux, sans compter les premières parties, souvent assurées par des musiciens d’ici. On permet aux musiciens montréalais de rencontrer des artistes internationaux et de collaborer avec eux.» En mars prochain, la série de concerts Jazz en rafale, organisée par le festival, offrira la scène du Dièze Onze, club de jazz sur le plateau Mont-Royal, aux artistes de la scène locale.
Jazz (con)fusion
«Montréal est une ville de jazz un mois par année, souligne le guitariste Louis-Philippe Gingras. Le FIJM concentre l’intérêt du public sur une partie de l’année. Les onze autres mois, le jazz est pratiquement relégué aux oubliettes.» Le jeune musicien déplore l’indifférence des médias à l’égard du jazz local, en dehors de la programmation officielle du festival. Son groupe, Les Contracteurs Généreux, allie jazz fougueux et sonorités rock. Oubliez les martinis olive et l’ambiance guindée de soirées bercées par la plainte langoureuse d’un saxophone. La jeune génération de jazzmen dont sont issus Louis-Philippe et ses trois complices déborde de créativité et se dévoue à faire évoluer le genre.
Si le FIJM n’accorde pas beaucoup de place aux artistes montréalais dans sa programmation, ce n’est pas par manque de qualité, selon Christophe Papadimitriou. «La scène montréalaise est en pleine effervescence, alimentée par une génération montante de musiciens issus des programmes de jazz de McGill, Concordia ou de l’Université de Montréal.»
Le jazzmen Samuel Blais est l’un des rares artistes à payer ses factures en poussant la note bleue sur les scènes montréalaises et new-yorkaises. Il comprend que le FIJM veuille varier l’offre de spectacles pour attirer un large public vers un style de musique qui peine à trouver sa place tant sur les ondes de la province que sur les tablettes des disquaires. N’empêche, il croit qu’il y a moyen de faire venir des grandes stars tout en encourageant davantage les artistes d’ici. «Je me souviens de la conférence de presse pour annoncer la programmation de l’édition 2009 du festival, raconte-t-il. L’organisation du FIJM avait fait venir un band de Miami, qui jouait de la musique tropicale. C’était la consternation chez les musiciens présents dans la salle: on aurait pu organiser un gig de vingt musiciens montréalais pour le prix de ce groupe venu de la Floride!»
Louis-Philippe Gingras ne croit pas que le jazz soit une musique inaccessible ou réservée à des intellectuels convertis, mais admet que le genre n’a pas la cote auprès du grand public. Les jazzmen connaissent bien la boutade: «Le jazz réussit à vendre des voitures, du parfum et des robes, mais il est incapable de se vendre lui-même.»
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