Le milieu du jeu vidéo est concurrentiel, en perpétuelle évolution et impose sans cesse de nouvelles contraintes à des travailleurs passionnés prêts à de grands sacrifices pour la profession. Des éléments qui, conjugués, peuvent mener à la détérioration des conditions de travail de ces employés.
Étudiants comme travailleurs dans le domaine du jeu vidéo s’entendent généralement pour dire qu’un critère primordial pour œuvrer dans le secteur des technologies numériques est la passion. La frontière entre l’investissement personnel issu de cette passion et la flexploitation des travailleurs par les entreprises est cependant bien abstraite.
La flexploitation, phénomène dont la première mention remonte à la fin des années 1990 par le sociologue français Pierre Bourdieu, est une forme particulière d’exploitation issue d’un nouveau mode de gestion du personnel. Le terme est issu de la condensation de deux mots: flexibilité et exploitation, en somme l’exploitation de la flexibilité des travailleurs. «Les entreprises œuvrant au développement de nouvelles technologies, comme celles de l’industrie du jeu vidéo, ont tendance à exiger de leurs employés une grande capacité d’adaptation, de la performance et une intégration rapide des nouveaux acquis, donc un maximum de flexibilité», résume le sociologue et professeur à l’Université de Montréal Jacques Hamel. Ce dernier a publié une étude, réalisée entre 1996 et 2001 auprès de plus de 2 000 jeunes Québécois intitulée La génération numérique dans l’orbite du travail. L’étude porte sur à propos la situation des jeunes issus des domaines touchant de nouvelles technologies, comme le multimédia ou encore la biotechnologie, sur le marché du travail.
Une entreprise peut par exemple demander à l’un de ses employés de travailler sur un projet hors de sa spécialisation, de changer de studio ou bien d’acquérir de nouvelles connaissances sans rémunération. Cet employé peut alors avoir le réflexe de voir ces conditions qui sembleraient aberrantes à d’autres comme un nouveau défi. «Le travail est axé sur l’apprentissage autodidacte et le travail personnel. Ceux qui ne sont pas prêts à faire des sacrifices par rapport au temps de travail, à la flexibilité et à la mobilité n’ont pas leur place dans l’industrie du jeu vidéo», confirme Irvin Dos Reis, étudiant en jeux vidéo au Collège Interdec. «Les travailleurs eux-mêmes régulent le phénomène de la flexploitation», déplore Jacques Hamel. Ce dernier émet l’hypothèse que les étudiants en nouvelles technologies sont prêts à sacrifier une partie de leur liberté pour faire leur place dans ce milieu peu solidaire afin de mettre le pied dans la porte d’une entreprise.
Selon le professeur, les compagnies tirent avantage du fait que les salaires et les normes du travail sont fixés selon la notion subjective de la mesure du talent et de la productivité des travailleurs. Les entreprises tendent toutefois à offrir certaines compensations à l’investissement personnel de leurs employés, telle la flexibilité d’horaire. «Nos employés sont autonomes et nous voulons les satisfaire en leur offrant la liberté de créer eux-mêmes un horaire à leur image, affirme l’attachée de presse du studio de jeu Ubisoft Montréal, Andrée-Anne Pelletier. Nous offrons aussi d’autres moyens d’améliorer la qualité de vie de nos employés, qui bénéficient de divers services comme une clinique médicale à l’interne.»
«La plupart des travailleurs des compagnies apprécient ce genre de marge de manœuvre bien qu’ils endurent une certaine exploitation, comme dans le cas de l’omission du paiement des heures supplémentaires», soutient Jacques Hamel.
À long terme, ce dernier croit que la flexploitation peut entraîner l’épuisement des employés, pouvant même aller jusqu’au burn-out. «Ce n’est pas rare que les jeunes du domaine du multimédia choisissent de changer de secteur après quatre ou cinq ans en raison de la pression subie à cause des conditions et de la charge de travail.» Irvin Dos Reis, comme plusieurs employés, est conscient qu’il aura à subir ces pressions.
Recrutement massif
«L’industrie du jeu vidéo est au sixième rang dans la croissance au Québec et elle a un besoin criant de main-d’œuvre», a mentionné le directeur du Sommet international du jeu de Montréal, Alain Lachapelle, lors de la dernière édition de l’événement, qui s’est déroulé les 18 et 19 novembre dernier. Les entreprises profitent d’ailleurs du sommet pour gagner en visibilité et recruter des jeunes qui s’intéressent à l’industrie du jeu vidéo. C’est spécifiquement afin de faciliter le recrutement de ces entreprises que le sommet de 2009 ouvrira ses portes au grand public pendant une journée entière.
D’après Jacques Hamel, ces entreprises demandent à leurs employés la mobilité entre leurs studios. Mais ces employeurs finissent par se faire prendre à leur propre jeu. Les travailleurs de l’industrie du jeu vidéo, habitués à la mobilité et sans cesse à la recherche des conditions idéales, sont difficiles à maintenir en place. Ils vont d’une entreprise à l’autre à la recherche des meilleures conditions de travail, ce qui explique les démarches de recrutement poussées de l’industrie.
Travailler pour le plaisir
Maxime Boudreault, étudiant au baccalauréat avec majeure en jeux vidéo à l’Université du Québec à Chicoutimi, voit son futur métier de concepteur et programmeur comme un loisir. Et il n’est pas le seul. Cette passion tirée du travail, tout à l’avantage des entreprises du domaine du jeu vidéo, nourrit le cercle vicieux de la flexploitation auquel seuls les travailleurs de cette industrie pourraient mettre un terme, selon Jacques Hamel.
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