Une ode à la non-conformité

Pour la rentrée automnale, le Centre de design de l’UQAM propose l’exposition Non conforme, qui met en lumière le travail colossal des affichistes underground Elzo Durt et Sébastien Lépine, dont les œuvres ont été combinées afin d’exploser le carcan du graphisme traditionnel.

Le vernissage de l’exposition a attiré de nombreux curieux mercredi en soirée, certains s’exclamant même: « Ben voyons donc que c’est de la sérigraphie ! Ça a tellement dû être long, faire ça. » Cette technique, additionnée à des lithographies et des digigraphies, relevait d’une certaine complexité visuelle pour le public. Une réflexion plus approfondie afin de mieux comprendre les œuvres était donc nécessaire.

Pour le graphiste et concepteur de mouvement Vincent Laquerre, Durt et Lépine se fichent de plusieurs règles du graphisme. Il note l’utilisation de procédés comme la gravure, le collage et la superposition, qui prennent un temps fou à réaliser lorsqu’ils sont réunis. « Surtout dans le cas de Durt, c’est très chargé, il te load ça de patterns. Et ça marche ! En général, on utilise un maximum de trois ou quatre médiums en graphisme, dénote-t-il. Mais Durt a l’air de s’être gâté, on en trouve facilement sept dans chacune de ses affiches. »

Repenser les règles

Le commissaire de l’exposition et professeur à l’École de design de l’UQAM Marc H. Choko soutient que les œuvres qu’il a sélectionnées se trouvent volontairement en marge des canons de la conformité inculqués dans les écoles. C’est le désir de réintroduire l’émotion et le baroque dans le graphisme qui se trouve à la racine de Non conforme, explique-t-il en entrevue au Montréal Campus.

« Les méthodes des deux artistes se rapprochent de la contre-culture des années 1950 et de l’art nouveau des sixties, avance M. Choko. Ce que les écoles de graphisme enseignent internationalement est habituellement très normé, plus froid. »

L’étudiante au baccalauréat en design graphique à l’UQAM Rébecca Roy-Brière soutient que ce qu’elle apprend sur les bancs de l’école, c’est la base du graphisme, ses conventions, le respect de ses règles et divers logiciels de création. « Quand on parle de cliché graphique, ça s’exprime par des lignes très droites, par la symétrie des éléments, avec une typographie claire et en majuscules sur une mise en page grillagée. C’est un style qui marche bien, mais qui ne défoncera jamais les conventions », précise-t-elle.

Elle souligne toutefois qu’elle n’a jamais senti que sa créativité était bloquée par les enseignements à l’UQAM. « La ligne directrice du programme de design graphique est toujours d’aller de l’avant. Et sur le marché du travail, mes prédécesseurs sont réputés pour être innovants », assure-t-elle.

De la notion à l’émotion

Elzo Durt souligne qu’il s’est toujours senti à l’aise de faire ce qu’il voulait pendant ses études, mais que c’est surtout après avoir gradué qu’il a perfectionné son art. « Mon style se dessinait rapidement à l’horizon parce qu’on était vachement libres dans nos projets. Mais c’est en sortant de l’école que j’ai vraiment pu me laisser aller », soulève-t-il.

Après une adolescence arrosée de skateboard et de punk, le Bruxellois sort en 2003 de l’École de recherche graphique et il plaque ses premières affiches partout dans la capitale belge, là où personne ne peut le surcoller.

Bien que les deux artistes aient des occupations professionnelles qui diffèrent, leur déconstruction de l’image et leur passion mutuelle pour le milieu underground de la musique est ce qui rapproche le travail des deux affichistes.

Toutefois, M. Choko dissocie tout de suite leurs caractéristiques. En effet, les collages colorés et les juxtapositions de gravures de Elzo Durt sont déroutants, tandis que Sébastien Lépine utilise les tons pastel et les superpositions de sérigraphies. « Ça détonne drôlement avec la musique hard rock qu’il aime. Des squelettes roses et verts, ça correspond tellement à Sébastien, car c’est une personne très douce et ça se sent dans ses œuvres », explicite M. Choko.

Créer pour son propre plaisir

La majorité des affiches de Lépine sont des initiatives personnelles. Il les crée en s’inspirant du matériel des groupes de musique qu’il aime. « C’est contraire à la commande habituelle ! rigole Marc H. Choko, au bout du fil. C’est une façon positive de créer du travail, au lieu d’être simplement réactif et d’être assis à son bureau. »

« J’aime provoquer, ça me fait rigoler », lance de son côté M. Durt en conférence à l’UQAM, pendant qu’une fausse affiche de concert est projetée derrière lui, mettant en vedette un Ben Laden nu, sur fond de drapeau américain, avec la fausse formation The Kamikaze Brothers en première partie.

Pour l’artiste belge, tout ce qui importe au final, c’est de se faire plaisir à soi, en créant ce qui satisfera l’artiste d’abord et avant tout.

photos: SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS

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