LSQ: apprendre sans entendre dans les écoles primaires

Au Québec, les enfants sourd(e)s gestuel(le)s ont la possibilité de suivre les classes régulières, tout en bénéficiant des services d’un ou d’une interprète. Malgré les défis engendrés par ce choix, cette forme d’apprentissage leur serait profitable.

Amélianne et Marilou ont neuf ans, font partie d’équipes sportives parascolaires, apprennent le français et se font des amis et des amies, comme la majorité des jeunes de leur âge. Après avoir été scolarisées dans une école spécialisée pour personnes sourdes, où l’enseignement se fait en langue des signes québécoise (LSQ), elles ont récemment fait le choix d’intégrer une école régulière de la Commission scolaire de Montréal.

Malgré leur surdité, elles arrivent à prendre part à la vie scolaire avec l’aide d’interprètes qui les accompagnent toute la journée. « Je préfère ici, parce qu’ici c’est le fun, il y a plein d’activités, plus de sorties et le français est plus important », fait remarquer Amélianne, en parlant de son école actuelle.

Annik Boissonneault, la mère de Marilou, est également atteinte de surdité depuis sa naissance. Elle travaille comme formatrice à l’école secondaire Lucien-Pagé, où elle aide les jeunes élèves sourd(e)s à maîtriser les rudiments du français écrit. Mme Boissonneault approuvait la décision de sa fille pour plusieurs raisons : « l’inclusion dans la société et dans le milieu de travail plus tard, les amis de proximité grâce à l’école de quartier et l’ouverture sur le monde ».

N’empêche que les élèves en intégration doivent surmonter quelques défis. La langue maternelle des sourds gestuels étant la LSQ, le français est donc leur langue seconde. Les élèves « vont apprendre le français pour lire et écrire, mais ils ne le parleront pas », rappelle Karine Gauthier, l’interprète d’Amélianne.

Elle explique l’importance de « déverbaliser » les propos à traduire : l’interprète doit extraire l’intention du message, cachée derrière les mots entendus, et retransmettre ce sens sous une nouvelle forme, dans la langue d’arrivée. Il ne s’agit pas d’un résumé. « Ce ne sont pas les mêmes mots, mais c’est le même sens », explique l’interprète. Par exemple, « chaque prénom d’élève de la classe est associé à une qualité, une caractéristique physique ou autre », dévoile-t-elle.

Mme Boissonneault est bien consciente que sa fille ne reçoit pas exactement les mêmes informations que ses camarades de classe. « Elle reçoit peut-être 80-90 % de l’information, parce que ça passe par un intermédiaire », admet-elle.

Qualité d’interprétation

Comme la plupart des mères, Mme Boissonneault se pose des questions sur la réussite de son enfant. « On pense que c’est facile pour ma fille, qu’elle est intégrée et qu’elle n’a pas besoin d’un interprète senior. Les commissions scolaires engagent parfois des gens qui signent un peu et ne sont pas de réels interprètes, en se disant que ce n’est pas grave. Mais ce sont des enfants en apprentissage », s’inquiète celle qui est aussi impliquée dans le groupe de recherche sur la LSQ et le bilinguisme sourd à l’UQAM. Selon elle, le problème est aussi là : la qualité de l’interprétation.

Selon l’Association du Québec pour enfants avec problèmes auditifs (AQEPA), plusieurs jeunes élèves subissent des conséquences négatives sur leur parcours académique lorsqu’ils et elles se voient attribuer un ou une interprète qui n’arrive pas à offrir un service optimal à cause d’un manque de compétences dans la LSQ.

La directrice adjointe à l’AQEPA Montréal Régional, Mélanie Charest, confirme que les interprètes qui accompagnent les étudiants et les étudiantes de niveaux collégial et universitaire sont encadré(e)s et évalué(e)s quant à leurs compétences en LSQ.

Souvent, les jeunes interprètes se retrouvent en milieu scolaire, alors que ceux et celles avec plusieurs années d’expérience interprètent au sein du milieu sociocommunautaire. L’inverse serait souhaitable, selon les répondants et répondantes des groupes de discussion d’une étude menée en 2013 par les chercheuses de l’UQAM Suzanne Villeneuve et Anne-Marie Parisot. L’AQEPA soutient que l’accès à des interprètes compétent(e)s et expérimenté(e)s en milieu scolaire est au cœur des préoccupations de la communauté sourde.

Mme Charest croit que lorsque vient le temps de choisir un ou une interprète, plusieurs vont prioriser la diplomation, puisque le programme de formation couvre plus que la langue des signes. D’un autre côté, « quelqu’un qui a toujours signé et a été élevé dans un univers de personnes sourdes a un bagage supplémentaire. Ça devient presque du cas par cas », ajoute-t-elle.

Baccalauréat en poche, Annik Boissonneault est un exemple de persévérance et de réussite, puisqu’elle fait partie des 8 % de personnes sourdes et malentendantes à obtenir un diplôme universitaire, alors que 19 % de la population sans incapacités y arrivent, selon les données d’une enquête dirigée par le Centre québécois de la déficience auditive.

photo: SANDRINE MONTPETIT MONTRÉAL CAMPUS

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