Film québécois ou film Netflix?

Pour sa première production en sol québécois, Netflix a jeté son dévolu sur le thriller du réalisateur Patrice Laliberté et de la boîte de production Couronne Nord, qui en seront tous deux à leur premier long métrage. Le film, qui bénéficie d’un budget entre quatre et cinq millions de dollars, est né à la suite de l’entente controversée conclue en septembre 2017 entre le gouvernement canadien et Netflix.

Le gouvernement du Canada avait alors accordé une exemption de taxes à Netflix. La multinationale s’était du même coup engagée à investir 500 millions de dollars dans la production de contenu canadien au cours des cinq années suivantes.

« Le problème avec Netflix, c’est qu’il est à la fois producteur et diffuseur. Il va décider des conditions d’exploitation de ses produits », croit le chargé de cours au Département de communication sociale et publique de l’UQAM Jean-Robert Bisaillon. À son avis, cette diffusion en exclusivité est anticoncurrentielle. « Netflix force les gens à s’abonner à leur plateforme pour voir ce film [qu’ils ont produit]. Donc ce n’est plus un film québécois, c’est un film Netflix », pense-t-il.

« Je fais des films fondamentalement québécois », affirme le réalisateur du thriller, Patrice Laliberté, qui ajoute que son long métrage produit par Netflix n’en fera pas exception. « C’est une chance de pouvoir exporter notre culture à l’international », souligne celui qui voit au Québec un manque d’accessibilité et un problème de promotion des œuvres cinématographiques.

Le diplômé de l’UQAM considère qu’il ne faut pas opposer les sources de financement provenant du secteur public, telles que la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et Téléfilm Canada, à celles d’un acteur privé, comme Netflix, qui sont plutôt complémentaires pour le bien de la culture québécoise.

Pour sa part, M. Bisaillon, également codirecteur du Laboratoire de recherche sur la découvrabilité et les transformations des industries culturelles à l’ère du commerce électronique de l’UQAM (LATICCE), estime que la présence de Netflix au Québec s’explique par la volonté de « vendre des abonnements et non pour promouvoir la culture québécoise ». Seulement sept longs métrages de fiction québécois sont disponibles sur cette plateforme. Cela représente une offre insuffisante, selon lui.

La productrice de Couronne Nord, Julie Groleau, est quant à elle d’avis que la cohabitation du financement privé et public est saine au Québec. « Dans le marché [du cinéma] qu’on a en ce moment au Québec, avec le manque criant de financement, je pense que c’est un plus d’avoir cette option pour financer ses films », avance-t-elle.

Un souffle nouveau

En février dernier, Patrice Laliberté songeait à mettre un terme à sa carrière de réalisateur en raison des refus de financement de la SODEC et de Téléfilm Canada. « Pendant un an et demi, je n’ai pas été financé », raconte le diplômé de cinéma à l’UQAM en 2010, qui était endetté à l’époque et songeait à réorienter sa carrière dans le domaine du jeu vidéo.

Encouragé par un lucratif contrat de publicité au Portugal, Patrice Laliberté, assisté de Nicolas Kriel, s’est lancé dans l’écriture d’un scénario de 75 pages en mars dernier, afin de poser sa candidature pour une bourse de Téléfilm Canada de 125 000 $ destinée au financement de premiers longs métrages.

Le réalisateur travaillait en même temps sur un autre projet de long métrage, Très belle journée, tourné avec un cellulaire. C’est finalement ce film qui a bénéficié du financement de Téléfilm Canada, bien qu’il sera disponible après son film financé par Netflix. « On a travaillé sur les deux idées en parallèle. En mai, on a appris que Netflix venait à Montréal pour entendre des pitchs », informe le cinéaste.

À la suite de leur rencontre avec Netflix, l’entreprise basée en Californie s’est montrée intéressée au scénario de Couronne Nord. « C’est un grand signe de confiance de la part de Netflix de nous avoir confié ce mandat de réaliser le premier projet québécois financé », se réjouit la productrice.

Fondée en 2012 par Julie Groleau, Patrice Laliberté et Guillaume Laurin, la compagnie montréalaise a plusieurs courts métrages à son actif. Le réalisateur et scénariste Patrice Laliberté s’était notamment fait remarquer en 2015 pour son court métrage d’action Viaduc, qui a remporté le prix du meilleur court métrage canadien au Festival international du film de Toronto.

Patrice Laliberté affirme bénéficier d’une grande liberté de la part de Netflix pour son film qui traitera de survivalisme et de nordicité. « Il y a des Américains qui viennent ici et qui disent : “on veut entendre vos histoires”, parce qu’ils ont réalisé que plus on est régional, plus on devient universel », se réjouit-il.

L’artiste effectue présentement les auditions et la distribution de rôle en vue du tournage qui débutera en février prochain. Le thriller, dont la date de sortie n’est pas encore connue, sera tourné en français et fera partie de la série Netflix Original.

photo: ÉTIENNE ROBIDOUX MONTRÉAL CAMPUS

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