Syrie : le droit international humanitaire sous les décombres

Sept ans après le début de la guerre en Syrie, les bombes tombent toujours dans le pays du Proche-Orient. Cinq panélistes rassemblés le 16 mars dernier au Centre Pierre-Péladeau de l’UQAM ont tenté de faire la lumière sur la complexité du conflit, qui est toujours aussi meurtrier.

Orientée autour des groupes armés non étatiques, la conférence s’est penchée sur l’interprétation du droit international humanitaire (DIH) dans les combats qui persistent depuis mars 2011 en Syrie.

Dès le début de la table ronde, la professeure en droit international de l’Université Laval Julia Grignon a fait part de sa consternation face à la durée du conflit, qui a fait près de 500 000 morts et plus d’un million de blessés. « Je suis ce conflit depuis ses tout débuts et je ne pensais pas devoir en parler encore en 2018, constate-t-elle. On est à sept années de guerre en Syrie, sept années de massacres, de violation des droits, de vies brisées. »

La loi sur le terrain

Pour venir en aide aux centaines de civils ciblés quotidiennement dans des régions comme la Ghouta orientale, mais aussi dans le but de maintenir les lois humanitaires internationales, plusieurs organismes humanitaires interviennent directement sur le terrain syrien. L’un des plus actifs est le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui tente d’appliquer le DIH dans tous les conflits qu’il aborde.

« Le CICR est souvent appelé le “gardien du droit international humanitaire”, souligne le conseiller juridique principal en DIH de la Croix-Rouge canadienne, Jonathan Somer. Nous ne légiférons pas, mais nous avons un rôle dans le maintien de la loi internationale humanitaire. »

En fournissant de l’aide humanitaire au sein des régions ciblées, le CICR cherche à s’éloigner des motivations politiques. « Nous agissons de façon neutre et impartiale dans nos actions humanitaires, précise M. Somer. C’est le modus operandi pour essayer de rejoindre le plus de gens dans le besoin lors de conflits comme en Syrie. »

Le directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires (OCCAH), François Audet, ne croit pas à ce caractère dénué de biais chez les organismes d’aide humanitaire.

« L’humanitaire est un acte politique, affirme celui qui est également professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. C’est naïf de croire que les organisations non gouvernementales sont neutres. Elles veulent espérer l’être pour avoir accès aux deux côtés du conflit, mais elles sont teintées, financées et guidées par des systèmes de valeur. »

Difficultés d’application

Actuellement morcelée par plus de mille partis politiques — dont l’armée fédérale syrienne et des groupes rebelles comme l’Armée syrienne libre et les Kurdes —, la Syrie devient beaucoup plus complexe à étudier pour les juristes en droit international humanitaire.

« Le droit international est très fort dans sa théorie, lance le délégué principal du Comité international de la Croix-Rouge, Andrew Carswell. Ce qui est plus difficile, c’est d’utiliser ces traités pour les intégrer dans la pratique. »

Selon François Audet, les règles de la Convention de Genève, qui régissent le DIH, ne peuvent maintenir la vitesse d’évolution fulgurante de combats comme ceux qui prennent place en Syrie.

« D’un côté, on a des juristes qui essaient de mettre à jour le code au fur et à mesure que le conflit évolue, et de l’autre, on a des praticiens incapables de se faire entendre, car ce code n’a pas de levier sur la situation », explique-t-il.

Pour illustrer le retard que peuvent prendre les écrits du DIH sur la situation civile, M. Audet évoque l’exemple du progrès des armes à feu. « Le droit international interdit tel type d’armes, alors que, sur le terrain, nous sommes rendus à trois générations d’armes supplémentaires », illustre-t-il.

Pour Julia Grignon, le droit international humanitaire conserve un caractère novateur, malgré son apparition il y a près de 70 ans. Ce qui manque, selon elle, c’est un mécanisme de mise en oeuvre. « Nous n’avons pas de tribunal autoritaire, observe-t-elle. On est donc soumis à des interprétations divergentes et des débats doctrinaux sur les règles parce qu’il n’y a pas d’autorité qui nous donne de l’information de manière récurrente et actualisée. »

 

photo : MICHAËL LAFOREST MONTRÉAL CAMPUS

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