Évaluation des enseignements : « la transparence pour rétablir la confiance »

Transparence ou exposition indue? Le degré souhaité de divulgation des résultats des évaluations des enseignements fait débat à l’UQAM. La question de l’identification des enseignants à même le portail étudiant, comme c’est le cas à McGill, divise étudiants et professeurs consultés.   

Le professeur de l’École des médias Jean-Hugues Roy estime que la Politique 23 de l’UQAM n’est pas assez transparente et plaide pour un modèle de divulgation des résultats plus complet. « Le pas majeur, ce qu’il faudrait faire pour redonner confiance dans le processus, c’est encore une fois la transparence, estime-t-il. C’est une question de représentativité, de validité de l’exercice. Si c’est transparent, j’ai l’impression que les étudiants vont participer davantage. »

Responsable du comité de programme en journalisme, il connaît les exigences de la Politique quant à l’examen des résultats des évaluations d’enseignement. Bien qu’il divulgue aux membres du comité les « rapports d’ensemble » anonymisés pour effectuer un suivi sur l’appréciation de l’enseignement dans le programme, Jean-Hugues Roy estime que ces rapports ne contiennent pas assez d’informations utiles. Il serait favorable à ce que l’UQAM s’inspire du modèle retenu à l’Université McGill.

Dans cette université, les résultats des questionnaires d’évaluation des enseignements sont divulgués à même le portail étudiant Mercury. On y trouve non seulement les taux détaillés de répondants à chaque question, mais aussi le nom des enseignants évalués. Ceux-ci peuvent toutefois refuser de publier les résultats sans avoir à se justifier.

« Légalement, nous sommes allés le plus loin que nous pouvions aller [en frais de divulgation], note la directrice des Services d’enseignement et d’apprentissage de l’Université McGill, Laura Winer. L’esprit de la loi québécoise sur la protection des renseignements est très clair sur le fait que les gens possèdent fondamentalement leurs données personnelles, et on veut clairement respecter ça. » Toutefois, « la majorité des enseignants » acceptent de divulguer leurs évaluations, remarque-t-elle, attribuant cette ouverture à un souci de transparence dans une « communauté serrée ».

En effet, selon le rapport annuel sur la participation étudiante à l’évaluation des enseignements, seuls 31% des enseignants ont refusé que leur évaluation soit divulguée en 2016-2017.

« À un certain point, il y a deux ou trois ans, nous avons changé le modèle de divulgation volontaire [où le professeur avait à donner sa permission activement] pour un modèle de divulgation par défaut avec possibilité de se retirer, explique Laura Winer. La transparence a vraiment débuté quand nous avons commencé notre virage numérique. »

L’implantation d’une telle pratique à McGill a surtout été rendue possible grâce au statut des enseignants, estime le conseiller en évaluation du Centre de pédagogie universitaire de l’Université de Montréal, Frédéric Lapointe. « Je pense que le fait que les professionnels d’université ne soient pas syndiqués à McGill est la variante fondamentale », souligne-t-il. Ce spécialiste de l’analyse des formules d’évaluation des enseignements explique que cette pratique « assez unique au Québec, mais assez fréquente en Amérique du Nord ».

Risques soulevés

La présidente du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM (SCCUQ), Marie Blais, estime qu’une telle divulgation est « embêtante » puisqu’elle pourrait vulnérabiliser les enseignants. « Le processus d’évaluation, on voit ça comme un processus pour s’améliorer. Si un enseignant a de la difficulté, ça serait important qu’il y ait du soutien pour s’améliorer [et non qu’il soit exposé]. Dans un cas comme celui-là, tout est public, c’est quelque chose. Si c’est un nouvel enseignant, c’est préoccupant », soutient Mme Blais.

Pour elle, la préoccupation concerne « même plus que la marchandisation ». « L’inquiétude, c’est que l’enseignant, pour avoir des bons résultats, va donner des bonnes notes, parce qu’il risque d’avoir de meilleures évaluations. C’est une pression au client, parce qu’on répond au besoin du client. C’est aussi une chose qu’on a vue aux États-Unis. C’est une de nos inquiétudes », affirme Mme Blais.

Le professeur Jean-Hugues Roy ne partage pas cet avis. « Est-ce que ça s’inscrit dans la marchandisation de l’éducation? À mon avis, non. C’est un service public, l’éducation. Et tout ce qui est public, à mon sens, devrait être transparent. C’est juste ça. La transparence prévaut dans un service public », fait-il valoir.

À l’UQAM, ce sont des versions anonymisées des résultats des évaluations de l’enseignement qui sont examinées par les membres des comités de programme. Pour certains membres étudiants, l’identification des enseignants comporte des risques.

« Personnellement, je pense que c’est trop. Ça pourrait amener à des règlements de compte, comme j’ai déjà vu dans des cours où tout le monde était un peu contre le prof, explique Christophe Marle, étudiant de troisième année au baccalauréat en médias numériques. Si un cours se passe mal, il y a une bonne raison de faire un suivi, mais pas nécessairement de l’exposer sur la place publique et de pointer du doigt l’enseignant. »

« Quand on a des groupes moins nombreux, ça peut devenir des jugements personnels pour leurs évaluations, plus qu’une évaluation objective », renchérit l’étudiant en relations publiques Simon-Pierre Poulin.

Bien qu’il reconnaisse qu’il puisse y avoir des conséquences à l’affichage de résultats peu élogieux d’enseignants identifiés, Jean-Hugues Roy croit qu’il y a plus de bien que de mal à y gagner. « Je serais le premier à être d’accord avec ça. Si j’étais visé, si mon enseignement était jugé inadéquat pour peu importe quelle raison et si ça devenait public, ça me forcerait un peu plus à m’améliorer », explique-t-il, arguant que l’on devrait considérer le local de classe comme un « espace public » où les enseignants devraient être tenus responsables de leur travail.

Quelle vocation pour l’évaluation?

Bien qu’elle soit effectuée dans toutes les universités québécoises selon un objectif d’amélioration des pratiques d’enseignement, l’évaluation peut avoir une vocation différente d’un établissement à l’autre. À l’Université McGill, une université « historiquement plus axée sur la recherche que l’UQAM », l’évaluation des enseignements est considérée dans la prise décisions administratives, explique Laura Winer. « Il y a une tendance pour certains professeurs de penser qu’aussi longtemps que la recherche progresse correctement, l’enseignement importe peu, relate-t-elle. L’évaluation est une manière pour nous de prendre position et d’être très clairs à savoir que le portfolio d’enseignement est nécessaire pour les promotions et l’avancement. »

À l’UQAM, la Politique 23 indique que les objectifs de l’exercice sont plus strictement formatifs que sommatifs et donc qu’ils visent moins à encadrer l’avancement des professeurs qu’à leur permettre d’« apporter des correctifs en bénéficiant du soutien requis ».

L’étudiante en administration Amanda McKee, elle aussi membre de son comité de programme, juge que cet objectif est préférable. Elle croit que l’évaluation des enseignements devrait être vouée à « améliorer les enseignements et non à nous aider à choisir un prof ou pas; il y a d’autres outils pour ça. À la limite, peut-être qu’un jour ça va être conjoint, mais on n’est pas rendus là, selon moi ».

 

photo : MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS

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