Il était une fois… la nostalgie

Ces dernières années auront apporté leur lot de productions québécoises à saveur historique. Si certains s’accordent pour plaider la nostalgie d’un temps révolu, d’autres considèrent que la réalisation de films d’époque relève d’un véritable devoir de mémoire.

« J’ose croire qu’il y a la volonté ou la possibilité de trouver [dans ce retour à l’histoire] un appui qui permet de pousser par en avant et non de s’aliéner par en arrière », observe le conteur Fred Pellerin, dont l’œuvre a été transposée deux fois au grand écran.

Dans les grands bureaux de Caramel Films, surplombant le fleuve gelé au sud de l’île de Montréal, André Rouleau, coproducteur du film La Bolduc, est dubitatif. « Je pense que c’est le mot nostalgie qui n’est pas adéquat. Je ne pense pas qu’on soit nostalgique. On aime simplement se faire raconter des histoires », explique-t-il.

S’offrir une leçon d’histoire

Qu’il soit inspiré d’un fait vécu, comme ce fut le cas pour le film La Bolduc, ou qu’il relève d’un passé fantasmé, comme celui des œuvres de Fred Pellerin, le cinéma québécois à saveur d’époque joue un important rôle d’identification sociale. « Il y a quelque chose qui va jouer dans l’archétype. On sort de la question de s’identifier en propre et en stencil, lance Fred Pellerin en s’amusant à jouer avec les mots. Ça dépasse le caractère historique. »

Le désir d’un retour aux origines s’inscrit assez rapidement dans le cinéma québécois, notamment dans les documentaires produits par les studios francophones de l’Office national du film du Canada au début des années 50. Le phénomène s’accentue au cours des décennies suivantes.

« On essaie de sortir de la ville, du marasme des technocrates […] de la déshumanisation qui accompagnait la Révolution tranquille », explique le programmateur-conservateur du volet québécois, canadien et international à la Cinémathèque québécoise, Fabrice Montal. Le cinéma tente alors de recréer une utopie passéiste, un peu nostalgique, certes, mais sans complaisance, ajoute-t-il.

« Il y a cette dualité de sortir d’une société de la conservation et de retrouver un peu l’esprit du coureur des bois », avance M. Montal. À cela s’ajoute le besoin de s’affranchir d’une société intégriste où plane encore l’ombre de l’ancien premier ministre Maurice Duplessis et ses années de grande noirceur.

Cas de figure

Producteur depuis plus de vingt ans, André Rouleau est convaincu que le public est davantage attaché à une histoire d’où surgira l’émotion qu’à une époque déterminée. Pourtant, les productions historico-légendaires s’enchaînent depuis plusieurs années et leur popularité, elle, ne fait qu’augmenter. Cette renommée s’explique notamment par la présence d’un public qui, s’il n’était pas interpellé par le côté historique, serait probablement absent des salles obscures.

« Il y a une portion du public qui, normalement, ne va pas au cinéma et qui va se déplacer parce que [le film] parle d’une époque qui lui rappelle des souvenirs […] Il y a là un élément quasi mathématique », explique le réalisateur des films Louis Cyr et Funkytown, Daniel Roby.

La nostalgie ne se ferait vraiment sentir que si le public a vécu l’époque dont il est question dans un film, avance André Rouleau. Le spectateur peut alors se replonger dans des souvenirs précis, comme ce fut le cas pour Funkytown, qui est, selon lui, l’un des exemples les plus flagrants de nostalgie chez les cinéphiles québécois.

« Certaines personnes avaient entre 18 et 25 ans pendant la période du disco et ça a été les meilleures années de leur vie, les années où ils ont eu le plus de plaisir. Alors, quand elles ont été voir le film, elles étaient nostalgiques », souligne le producteur de Caramel Films.

Le constat demeure le même dans la cinématographie québécoise, qu’elle soit fictionnelle ou documentaire. « Ce que l’on transmet d’une histoire forge à la fois la représentation collective, mais aussi la représentation qu’un individu se fait de sa collectivité », affirme Fabrice Montal.

« Je ne pense pas qu’on puisse s’identifier encore à un personnage comme La Bolduc. Par contre, on va s’identifier au parcours québécois », concède le producteur. Plus qu’une simple présentation de la chanteuse ayant marqué une génération, le film La Bolduc plonge le spectateur dans le Québec des années 30, alors que la province est en pleine crise économique.

Le parcours de la musicienne autodidacte prendra donc des airs de mythe américain où tout est possible pour celui qui travaille avec acharnement. Ce mythe fait écho au parcours du légendaire Louis Cyr. « Ce n’était pas juste un sujet sur les exploits d’un homme fort […] C’était un sujet historique sur l’identité québécoise », avance Daniel Roby.

En termes de représentation collective et d’affirmation de soi, le film sur l’homme fort témoigne en filigrane des victoires collectives du Québec, analyse Fabrice Montal. Le succès de Louis Cyr à la fin du 19e siècle devient alors un modèle de réussite entrepreneuriale.

Construire un imaginaire

« Le poète Christian Vézina dit qu’il y a trois choses pour s’inventer collectivement : le territoire, la mémoire et l’espoir », se remémore Fred Pellerin. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir un lieu collectif pour y semer le patrimoine imaginaire d’un peuple, complète le conteur.

« J’aime le terme ‘’devoir de mémoire”. Si on veut comprendre un peu où on est, il est important d’étudier l’histoire et de s’y intéresser », évoque André Rouleau, l’air songeur.

Sans être à cheval sur l’historicité stricte et pure, les contes de Fred Pellerin, tout comme ses films, prennent plutôt la forme de légendes. C’est en amorçant chaque histoire avec « Il était une fois » que le conteur se permet d’ajouter un tantinet d’invraisemblance dans ses récits.

« Si ma veste carreautée a des couleurs d’aspiration au passé, je trouve à l’intérieur de cette veste-là un confort qui me permet d’aspirer à des futurs, plus que de simplement m’en tenir au passé. Par contre, je suis convaincu que de s’asseoir sur un passé et partir d’une durée, ça permet de sauter plus loin », affirme- t-il en plaidant le droit d’être un brin nostalgique.

 

photo : SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS

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