Une Nuit de promesses

Le maire sortant Denis Coderre a profité de la 28e Nuit des sans-abri, qui a battu son plein au Square Cabot dans la nuit du 20 octobre, afin de réitérer son intention d’instaurer des lieux de consommation d’alcool supervisée dans les refuges. Une proposition qui a divisé les acteurs du milieu lors de cette veillée de sensibilisation.

La nuit a débuté à 18h par une grande marche partant du Square Phillips. La petite foule de quelques centaines de personnes a défilé en scandant des slogans afin d’interpeller le voisinage avant de s’arrêter au Square Cabot.

Cette année, beaucoup de Montréalais ont répondu à l’appel. Alors que les performances musicales se sont succédé sur la scène jusqu’à minuit, les kiosques des groupes d’intervention ont accueilli les participants. Tout au long de la nuit, vêtements chauds, café et nourriture ont été distribués.

Lors d’un passage court, mais remarqué en début de soirée, le maire sortant Denis Coderre a prononcé un discours électoraliste sur l’itinérance. Après avoir mentionné la réussite des sites d’injections supervisés, Denis Coderre a réitéré sa promesse de mettre en place un concept similaire pour la prise d’alcool, les wet shelters. Une idée qui, au premier abord, n’a pas semblé susciter un enthousiasme délirant dans la foule.

Les organismes se posent des questions

« Est-ce que c’est pertinent? Il faut étudier le fonctionnement en détail. Ça peut être une porte d’entrée pour l’intervention», pense Céline Duclap, coorganisatrice de la Nuit des sans-abri de Montréal et intervenante au PAS de la rue. « Est-ce que ça ne peut pas potentiellement être un open-bar? Qui va acheter cet alcool?», se questionne son collègue au PAS de la Rue, Cédric Cervia.

Les centres de jour et refuges montréalais refusent à leurs usagers d’entrer avec de l’alcool. Cette règle tend à inciter les alcooliques chroniques à dormir dans la rue, les rendant particulièrement vulnérables. Plus souvent que les autres, ils finissent la nuit au poste de police ou à l’hôpital, explique l’intervenante de Spectre de rue Catherine Durand-Grenier. L’idée est d’offrir un hébergement pour ce public particulier.

L’organisme Spectre de rue, qui travaille sur les problématiques de consommation, croise des personnes souffrant de cas d’alcoolisme grave. Catherine Durand-Grenier pense qu’offrir la première consommation de la journée permettrait de réduire le nombre de décès. « On se réveille le matin et on tremble parce qu’on a besoin d’alcool. Si on ne continue pas à boire, on peut en mourir». Selon l’intervenante, cela pourrait aussi réduire les méfaits. « Dans le rush de survivre, les personnes peuvent faire du vol à l’étalage ou voler de l’argent», explique-t-elle.

Cependant, elle croit aussi que le projet demande un temps de réflexion. « C’est important de ne pas garrocher ça, que ce soit bien encadré», analyse Catherine Durand-Grenier.

L’exemple du programme d’hébergement pour consommateurs d’alcool de Seattle est souvent cité en exemple. Selon une étude sur l’hébergement des sans-abri publiée en 2009 dans le Journal de l’Association américaine de médecine, la consommation moyenne des participants du programme de Seattle a chuté de 20 à 12 verres par jour. Une autre étude de l’université de Washington montre que les résidents des wet shelters sont plus enclins à accepter un traitement.

Une offensive de sensibilisation

Rapidement après les discours, de petits groupes ont commencé à se disperser sur les murets du parc et à entamer la discussion autour d’un café. « Il y a des gens qui viennent surtout pour le spectacle, mais cela permet aussi la mixité sociale. Les gens se parlent plus que dans la rue, il y a moins de barrières. C’est un événement qui permet de combattre les préjugés», s’enthousiasme Cédric Cervia, qui, d’origine française, constate les bienfaits de ce genre d’initiatives qu’il ne retrouve pas en France. La Nuit des sans-abri souhaite rassembler autant les gens en situation de précarité ou de solitude que les citoyens solidaires.

La Nuit des sans-abri, auparavant connue sous le nom de Nuit des jeunes sans-abri, a été fondée en 1989 par les Auberges du cœur, qui regroupent les refuges de la province. Se déroulant le troisième vendredi d’octobre dans une quarantaine de villes du Québec, cette veille vise à sensibiliser les individus aux problématiques qui touchent les personnes itinérantes, dont l’alcoolisme. « Il faut comprendre que c’est une maladie», rappelle Catherine Durand-Grenier.

Malgré l’approche de la saison froide, les participants restés jusqu’aux petites heures du matin ont profité d’un mercure agréablement clément. Une soirée d’exception qui a pris fin vers 5h du matin, un petit baume pour les 30 000 Montréalais qui dorment dans la rue bien plus qu’une nuit par année.

 

photo: LAËTITIA GAGNON MONTRÉAL CAMPUS

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