L’art du conte version 2017

Au travers leurs histoires ou en réinterprétant celles des autres, les conteurs contemporains tentent, par leur art, d’offrir un nouveau point de vue sur les enjeux qui traversent notre époque. Cette réactualisation du conte est au centre de la réflexion tenue au Festival interculturel du conte de Montréal, qui bat son plein jusqu’au 29 octobre prochain.

« Les questions profondément humaines » des vieilles histoires qu’on raconte encore aujourd’hui leur ont permis de « passer à travers le temps », explique la conteuse et directrice artistique du Festival interculturel du conte de Montréal, Stéphanie Bénéteau. « Les thèmes de la guerre, de la violence, du voyage, de la fidélité, de la famille nous interpellent encore aujourd’hui », renchérit-elle, donnant l’exemple de l’Iliade ou de l’Odyssée d’Homère. « Le travail du conteur, c’est de trouver ce fil de vérité qui nous parle encore aujourd’hui », affirme-t-elle.

Se penchant sur le cas du conte québécois, Stéphanie Bénéteau affirme que certains conteurs utilisent le folklore, en ne changeant rien au texte original. Ceux-ci « ne cherchent pas à trouver la vérité contemporaine. Ce n’est pas que ce n’est pas intéressant, mais ces contes ont leur place dans un musée ». Elle croit d’ailleurs qu’il est possible de trouver, dans les vieux contes québécois, des thématiques fortes qui sont encore actuelles, si on se donne la peine de les réactualiser.

Stéphanie Bénéteau donne notamment l’exemple du loup-garou, « qui représentait l’interdit catholique au 18e siècle et qui devient aujourd’hui une histoire qui parle de dépendance ».

De nouvelles histoires à raconter

La réactualisation des vieux contes, bien qu’elle ait ses mérites, ne permet pas d’exploiter tous les enjeux contemporains. « Il y a de vieilles histoires qu’on peut réinterpréter, mais on a aussi besoin de nouvelles histoires », selon Mme Bénéteau. Dans le cadre du Festival interculturel du conte de Montréal, un lieu qui rassemble une multitude de conteurs de différents horizons, plusieurs membres de la communauté LGBTQ viennent raconter « leurs défis, leurs aventures, leurs voyages et la découverte de leur sexualité », poursuit la directrice artistique du festival.

Ces artistes s’inspirent de scènes de leur quotidien, de leur passé et de leur enfance pour en faire des contes qui piquent la curiosité. « Le personnage, on peut le construire comme on le veut, il peut avoir des identités multiples », explique le professeur de littérature à l’UQAM Michel Lacroix.

Les thèmes contemporains mènent à la création de nouvelles histoires qui intègrent des enjeux propres à la réalité du 21e siècle, dans la même lignée que ceux que racontait de vive voix Homère et que l’on continue de propager. Ces nouvelles histoires « seront peut-être encore racontées dans mille ans », estime la directrice artistique Stéphanie Bénéteau.

Des contes occidentalisés

Le Festival interculturel du conte de Montréal se veut aussi un espace de réflexion sur le conte. Dans son volet « Rencontres », le public en apprend sur les histoires des contes et sur leur réappropriation.

« Il y a une légende qui dit que ceux qui lisent les Mille et Une Nuits du début jusqu’à la fin finissent par mourir. Ce conte, étant une sorte de récipient de notre humanité, ne nous donne plus le besoin de vivre lorsqu’on le lit jusqu’à la fin », révèle en conférence la conteuse Chirine El Ansary, qui recherche depuis des années l’origine des contes de son enfance.

« Je me collais contre ma grand-mère, qui me racontait des histoires. Elle racontait sa vie et les histoires des paysannes, à l’intérieur desquelles il y avait beaucoup de bribes des Mille et Une Nuits », raconte-t-elle, prouvant ainsi que ces histoires sont avant tout faites pour être interprétées, puis partagées.

Si le livre des Mille et Une Nuits fait sans doute partie des contes les plus célèbres, leur origine demeure toutefois nébuleuse, d’où les études que mène actuellement la conteuse. Dans ses recherches, Chirine El Ansary a découvert que l’arrivée des Européens dans le monde oriental a mené à l’occidentalisation des contes. Les Européens, habitués à une culture où l’écrit et l’oral sont séparés, ne comprenaient pas les manuscrits remplis de notes de la culture orientale. Dans la culture arabe, « la relation entre l’écrit et l’oral est permanente », affirme-t-elle.

Oral ou écrit?

Lorsqu’un conte est présenté en spectacle à un auditoire, « il y a un interprète supplémentaire entre le texte et la personne qui le reçoit », analyse le professeur Michel Lacroix. « Le conteur ou la conteuse accompagne son histoire de gestuelle, de changements de ton, d’expressions de visage qui donnent un sens à ce qu’il ou elle est en train de raconter », précise Stéphanie Bénéteau, qui croit que réside là tout le charme du conte. « Dès que le texte est écrit, il change de par sa nature même », ajoute-t-elle.

En plus de nous offrir un regard nouveau sur de vieilles histoires et de nous en apprendre de nouvelles, le conte est, selon Mme Bénéteau, l’occasion parfaite de décrocher de notre quotidien et de reconnecter avec nos semblables. « Même si on passe énormément de temps devant nos écrans, je pense qu’en tant qu’être humain, on a encore un besoin profond d’être ensemble dans le même espace », espère la conteuse.
photo: CHRISTIANE OLIVIER

Ladji Diallo lors de la 14e édition du festival interculturel du conte de Montréal

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