Création sous influence : un univers de possibilités

Impression de liberté, augmentation marquée de la sensibilité et de la créativité : les paradis artificiels semblent être un bon remède au syndrome de la page blanche pour certains étudiants de l’Université du Québec à Montréal.

Pour Gabrielle*, étudiante au baccalauréat en études littéraires à l’UQAM, la consommation d’alcool est un moteur de création important lorsqu’elle reçoit des appels de textes de son éditeur. Pour elle, la consommation d’alcool l’aide à se détacher de son travail. « Il y a un grand dilemme en littérature par rapport à l’autofiction. Écrire sa vie, ça reste toujours un peu controversé, avance-t-elle. Ça me permet donc de mettre une distance entre moi qui me présente dans la vraie vie, et moi qui me présente de façon fictive. Ça crée une frontière. »

L’étudiante avoue par contre que d’écrire sous l’effet de l’alcool n’est pas toujours une tâche facile, puisque lors d’une très grande consommation, il est aisé de tomber rapidement dans l’excès. « En écriture, ça peut être bénéfique parce que ça crée des ellipses temporelles. Mais, si tu bois trop, tu n’auras même plus envie d’écrire », explique-t-elle, en mentionnant qu’elle trouve très souvent ses idées sous l’effet de l’alcool, mais attend le lendemain pour les coucher sur papier.

Cette technique n’est pas étrangère à François Richer, professeur au département de psychologie de l’UQAM, qui croit que la « gueule de bois » aurait également sa place dans le spectre du processus créatif. Selon l’expert, des études ont permis de constater que si on faisait travailler intellectuellement des cobayes de manière extrême, leur créativité tendait à augmenter dans les jours suivant l’effort. « Quand les substances sont consommées en grande quantité dans un contexte très intense, c’est souvent le lendemain que la créativité va être augmentée par un effet rebond. On présume que c’est une réaction en lien avec la sortie de stress qu’occasionne la consommation », analyse M. Richer.

Selon lui, la consommation d’alcool et de drogue viendrait essentiellement perturber certains neurotransmetteurs, ce qui induirait un état second chez le consommateur. « On commence à connaître une majorité des systèmes neurochimiques dans le cerveau, mais pour ce qui est de comment ils se coordonnent et de ce qu’ils font réellement dans une activité quotidienne, c’est encore très spéculatif, explique M. Richer. Par ailleurs, les artistes auraient une plus grande tendance à se mettre dans ces états altérés précis, puisque cela semblerait les aider à se défaire de leur carcan, d’où cette impression de créativité augmentée », poursuit le professeur spécialisé en neuropsychologie.

Plusieurs artistes ont exploré l’avenue souvent mal comprise de la création sous influence, en s’engageant sur la route du mouvement beatnik avec Jack Kerouac jusqu’au mouvement hippie avec les Beatles et leur fameux sous-marin jaune. Notre ère actuelle s’y prête également, période où le succès d’artistes comme Stephen King, un ancien grand alcoolique et toxicomane, et Frédéric Beigbeder, un grand consommateur moderne, amène un questionnement sur l’apport de l’inclusion de substances dans une démarche artistique.

Consommer et se réinventer

Des limites comparables à celles de l’écriture se retrouvent dans les arts plastiques, d’après l’étudiant en arts visuels Nathan Ducraux. Bien que la consommation soit pour lui un réel moteur de créativité, il remarque qu’elle l’empêche parfois de se concentrer complètement sur son travail. « Ton geste devient imprécis, ça devient impossible de mettre en image ce que tu as dans la tête », explique l’étudiant, qui a l’habitude d’utiliser le cannabis et l’alcool lors de la création de ses œuvres.

Par contre, il admet voir beaucoup plus de positif que de négatif dans sa consommation. « L’expérience de la drogue me permet de voir autre chose, d’être sensible à des éléments auxquels je n’aurais probablement jamais porté attention. Il y a quelque chose de beaucoup plus primitif dans une œuvre réalisée dans un état second », raconte l’artiste, qui remarque également qu’il a beaucoup plus tendance à se critiquer lorsqu’il crée dans son état normal.

De nouvelles perspectives

Si les différentes formes d’art visuel semblent être propices à la consommation sous influence, la performance, où l’individu lui-même devient le support artistique, ne fait pas exception à cette tendance. Steave Ruel et Lorie Ganley, tous deux finissants de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, ont participé récemment à un événement mis sur pied par l’organisme LA SERRE, qui leur ont permis de réaliser le projet « Le monde est petit », un déambulatoire performatif.

Si Steave Ruel a comme habitude d’écrire avec l’aide de l’alcool, c’était le baptême de Lorie Ganley, qui n’avait jamais inclus la substance dans sa démarche. « Mes collègues et moi venons des études théâtrales, j’ai donc l’habitude d’analyser et de donner des réseaux de sens à chacun des éléments d’une représentation, confie Lorie Ganley. L’alcool m’a permis de me libérer de cette obsession de poser les bons gestes pour donner les bons indices », résume l’artiste.

 

*Nom fictif

 

photo: SARAH XENOS MONTRÉAL CAMPUS

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