Porter le chapeau du sauveur

Le chapelier Alex Surprenant dépose délicatement un chapeau sur sa table de travail. Sa poignée de main, à la fois douce et franche, révèle la précision du geste de l’artisan qui travaille avec minutie, mais aussi l’obstination du créateur qui pratique un métier que plusieurs croient dépassé, surtout au Québec.

Rencontré dans son atelier de la rue Parthenais, Alex Surprenant, 27 ans, ne compte plus les heures passées à enchaîner lui-même les étapes derrière la création de ses couvre-chefs. Depuis 2016, sous le couvert de Fumile Chapelier, son nom d’artiste, il crée des chapeaux haut de gamme pour hommes, une pratique qu’il sait tout droit sortie d’une autre époque.

Le sourire en coin, le jeune homme rappelle que dans la première moitié du 20e siècle, il était impensable au Québec de se rendre à l’église sans être revêtu de son plus beau chapeau.

« Au Québec, quand on a claqué la porte à la religion, ce genre de tradition est parti en coup de vent, explique le chapelier. On ne reviendra jamais dans le passé, mais j’ai l’impression que les gens en ont assez de porter la casquette des Yankees », rigole-t-il, en posant son regard sur un chapeau haut-de-forme jaune canari.

Démarrer sur les chapeaux de roue

Le nouveau métier d’Alex Surprenant, qui a déjà porté les couleurs de l’Impact de Montréal et du Edmonton FC, se révèle entre avril et septembre 2016, lors d’un cours d’introduction à la chapellerie offert par la réputée Lucie Grégoire.

Depuis ce temps, la recrue jouit de l’opportunité inespérée de profiter de l’atelier et des équipements de Mme Grégoire, l’une des seules à enseigner la chapellerie dans la province. « On peut vivre de ce métier-là au Québec, mais je sais que je suis privilégié », laisse tomber M. Surprenant.

Mme Grégoire, créatrice de chapeaux sur mesure pour femmes, reconnaît que son ancien élève s’est brillamment intégré au milieu du chapeau haut de gamme, pourtant en perte de vitesse.

« Au Québec, il ne reste plus de chapeliers au sens pur du terme. Il en reste un à Montréal: Magill Hat, sur le boulevard Saint-Laurent », clarifie-t-elle. Autrement, le magasin Henri Henri, situé sur la rue Sainte-Catherine, revend des chapeaux depuis le début des années 30, poursuit l’artiste.

Alex Surprenant crée des chapeaux excentriques et personnalisés depuis automne 2016.
Alex Surprenant crée des chapeaux excentriques et personnalisés depuis automne 2016.

David contre Goliath

Le pari de créer des chapeaux sur mesure à l’ère de la production de masse est risqué, mais pour M. Surprenant, il en vaut le coup. Il est néanmoins évident que celui qui travaille à son compte ne peut égaler la vitesse de production des manufactures, qui produisent leurs couvre-chefs à la chaîne.

« Une manufacture serait perdante si elle demandait à ses employés de créer des chapeaux de leurs mains, car ça lui prendrait trop de temps, raisonne le chapelier. Les chapeaux y sont donc souvent pressés, même si ça peut abîmer le feutre. Moi, mes chapeaux, ils ont une âme », poursuit-il humblement.

Il n’en reste pas moins que le principal obstacle qui guette le métier de chapelier est l’éloignement des fournisseurs offrant des matériaux de qualité. « Au Québec, il n’y a plus de fournisseurs. Il faut faire venir les matériaux d’Europe ou des États-Unis, et ça coûte cher », intervient Lucie Grégoire.

Combinés à un taux de change peu avantageux, les prix des matériaux augmentent rapidement lorsqu’ils franchissent les douanes, poursuit Alex Surprenant, agrippant au passage une capeline de feutre composée d’innombrables poils de lapin compactés.

« Je les commande de République tchèque, dit-il. Il ne reste que cinq ou six usines dans le monde où ce procédé est appliqué au feutre. C’est pour ça que c’est aussi cher, faire venir les matériaux. »

Chapeaux cherchent vedettes

L’artiste de 27 ans ne se gêne pas pour le dire : confectionner des couvre-chefs au goût de vedettes québécoises, comme Yann Perreau, aide à sa visibilité.

Sur ce point, sa collègue Lucie Grégoire le met respectueusement en garde. « J’ai déjà fait un chapeau pour Johnny Depp, mais ça ne m’a pas fait nécessairement vendre plus de chapeaux », avoue-t-elle.

« Je ne vais pas surfer sur la vague parce que j’ai fait un chapeau pour Yann Perreau, consent M. Surprenant. Il faut se renouveler sans cesse », réplique le chapelier, parmi les rares à appliquer de la teinture à ses chapeaux selon une recette en constante refonte.

Un avenir en deux teintes

Lucie Grégoire est soulagée que de jeunes artisans reprennent le flambeau, prêts à affronter le petit mais vigoureux marché de l’artisanat au Québec.

Alex Surprenant, lui, se dit optimiste quant à la survie de la chapellerie dans la belle province. Si le métier a été à son plus bas dans les années 90 et au début du millénaire, une réelle tendance inciterait les consommateurs à acheter local et à s’interroger sur la provenance des produits. « Les gens ne veulent plus acheter un produit qui a fait 4 000 km en bateau », lance-t-il, replaçant soigneusement le chapeau qu’il a accroché en s’exclamant.

« On sait que c’est un cordonnier qui fait les souliers, mais, des chapeaux, ça fait tellement longtemps qu’on en voit pas sur les têtes qu’il faut se battre pour ne pas que la chapellerie tombe dans l’oubli, souligne l’artiste qui soufflera bientôt ses 60 bougies. Comme artisan, il ne faut jamais lâcher », conclut-elle.

 

Photo: Martin Ouellet Montréal Campus

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