Liberté d’expression menacée?

Le 12 février dernier, l’émission Corde sensible de Radio-Canada mettait en ligne un reportage qui a causé d’importantes réactions au sein de la communauté universitaire uqamienne.

L’expérience menée par Corde sensible consistait à placer à l’intérieur de l’UQAM des affiches qui, selon eux, présentaient des propos caricaturaux. L’une d’elles encourageait la lutte contre l’embourgeoisement tandis que l’autre tenait des propos propres à la droite identitaire nationaliste. La seconde invite à la discussion aux alentours de tels enjeux, sans préciser de date ou de lieu. Ils désiraient ainsi analyser l’impact de telles affiches dans l’université pour vérifier si oui ou non la liberté d’expression était menacée dans l’UQAM. Selon le reportage, les affiches nationalistes ont suscité des réactions tandis que les autres n’en ont soulevé aucune.

« On a beaucoup de mandats à exécuter, on donne plusieurs heures par semaine bénévolement, on n’a pas besoin de lutter contre du racisme imaginaire, exprime la secrétaire aux affaires académiques de l’Association Facultaire Étudiante des Sciences humaines (AFESH) Stéphanie Gingras-Dubé. Ce racisme-là existe déjà, on n’a pas besoin d’avoir à s’organiser contre un groupe nationaliste identitaire qui n’existe pas réellement. »

Quelques jours après que les affiches furent posées, l’AFESH publiait sur sa page Facebook un statut dans lequel elle invitait à l’annulation de l’évènement en vertu de mandats adoptés en assemblée générale.

Stéphanie Gingras-Dubé convient que la haine n’est pas nommée dans les affiches, mais juge que l’expérience est allée beaucoup trop loin. « Nous ce qu’on dit c’est votre liberté d’expression, d’accord, mais pas quand ça nous fait violence [sic] », exprime pour sa part un membre de l’AFESH, Clark Pignedoli.

Le groupe étudiant Solidarité pour les droits humains des Palestiniennes et Palestiniens de l’UQAM a également réagi au reportage par voie de communiqué. Le groupe déplore le fait que les journalistes n’aient pas suspendu leur expérimentation après les attentats de la mosquée de Québec le 29 janvier dernier. « Cet acte terroriste prend source dans ce type de discours hostile envers les communautés issues de l’immigration. Pour ces raisons, nous exigeons un droit de réponse et appelons les journalistes à plus de nuance, de rigueur et de distinction », peut-on lire dans le communiqué.

Selon Marie-Ève Tremblay, animatrice de l’émission Corde sensible, la vidéo était une expérimentation qui ne visait personne en particulier. « On pensait qu’il y allait avoir des réactions, on l’exprime dans le reportage d’ailleurs. On a été vraiment surpris. Comme on ne visait personne par souci d’équité, on ne s’attendait vraiment pas à ça », explique la journaliste.

Liberté d’expression

Le reportage présente également une analyse du sociologue Normand Baillargeon. Ce dernier explique que le fait d’empêcher certaines conférences, quel que soit leurs propos, mine la liberté d’expression. Il est d’avis que pour pouvoir critiquer une idée, il faut permettre qu’elle soit diffusée. Il exprime que « la liberté d’expression, c’est de permettre la diffusion d’idées avec lesquelles on est en désaccord ».

Doctorante en sociologie et chargée de cours à l’UQAM, Sandrine Ricci est d’avis que les propos de M. Baillargeon sont problématiques dans la mesure où « [le reportage] se centre sur l’expertise d’un individu appartenant au groupe dominant – homme blanc francophone universitaire […] Baillargeon se pose en juge par rapport à un enjeu qui a des effets matériels aussi concrets que préjudiciables sur la vie de personnes minoritaires ». Elle souligne qu’il est peu susceptible de subir ces effets « du fait de sa position privilégiée ».

Pour la porte-parole de l’UQAM, Jenny Desrochers, le reportage soulève des questionnements. « Le reportage de Corde sensible est préoccupant considérant que la liberté d’expression est le propre d’une université et que l’UQAM s’assure de mettre en place les conditions appropriées pour favoriser le débat d’idées dans le respect des droits et des libertés de chacun », a-t-elle indiqué.

Démarche journalistique

Marie-Ève Tremblay révèle avoir tenté de rejoindre l’AFESH à deux reprises avant que ceux-ci n’accordent une entrevue. « Quand ils se sont présentés en entrevue, c’était avec l’ordre de l’association étudiante de ne pas s’exprimer sur les affiches », indique-t-elle. La journaliste précise également avoir demandé aux étudiants interviewés quels étaient les propos qu’ils jugeaient dérangeant dans les affiches, ce à quoi ils auraient refusé de répondre.

Mme Tremblay mentionne avoir fait preuve de bonne foi en laissant les deux membres de l’AFESH s’exprimer sur autre chose que les affiches, considérant que le reportage traitait de cette situation en particulier. « On leur a donné la chance de s’exprimer au moins à propos de leur mandat, de pouvoir parler par rapport à leur prise de position », explique-t-elle.

« C’était une expérimentation qu’on a faite, en collaboration avec une enseignante de l’Université. Ce n’est pas l’UQAM ou ce groupe-là qui était visé, on aurait pu le faire dans n’importe quelle autre université. Ce groupe-là a eu une réaction, ils en ont fait part sur leur page Facebook, on leur a laissé la chance et la possibilité de nous répondre », conclut-elle. Dans ce contexte, elle juge la démarche entreprise par son équipe adéquate et respectueuse des règles déontologiques en vigueur.

 

Photo: FÉLIX DESCHÊNES MONTRÉAL CAMPUS

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