Les ONG canadiennes au service des minières

L’emprise des entreprises minières oeuvrant au Pérou sur les organisations non gouvernementales canadiennes qui y sont présentes est à nouveau mise en relief dans un mémoire de maîtrise en droit international, publié récemment à l’UQAM.

Le mémoire intitulé Coopération au développement et industrie minière : le cas canado-péruvien, rédigé par Caroline Brodeur, rappelle que deux types de lois sont présentement en vigueur concernant les relations entre le Canada et le Pérou. « ll y a les normes qui sont économiques, de protection des investissements, notamment via l’accord de libre-échange canado-péruvien. Puis, il y a les normes dites de droit social : toutes les normes qui visent à la gestion de la communauté et des conflits, toutes les normes de travail, d’environnement qui entourent l’exercice », explique Mme Brodeur, qui est également coordonnatrice de l’Institut d’études internationales de Montréal, affilié à l’UQAM. Alors que la première catégorie est encadrée et obligatoire, aucune norme contraignante n’est mise en œuvre dans le deuxième cas.

Une compagnie minière canadienne, Bear Creek Mining, en est même venue à poursuivre le gouvernement péruvien, profitant d’une absence d’encadrement contraignant du point de vue du droit social. Les autorités locales lui avaient alors enlevé son permis d’exploitation en raison de conflits sur le terrain.

Les altercations sont très courantes au pays du Machu Picchu, où de nombreux conflits ont éclaté entre les communautés et les entreprises minières canadiennes ces dernières années. « Au Pérou, la situation était particulière pour les communautés amérindiennes. Il y avait beaucoup d’embauche de milices pour neutraliser les militants », explique le professeur invité à l’École de travail social de l’UQAM et membre du Tribunal permanent des peuples, Gérald Larose.

Depuis 2014, l’organisme Amnistie Internationale fait état du cas de Maxima Acuña, une agricultrice péruvienne ayant fait les frais de sa résistance aux minières; la femme aurait été intimidée, harcelée et même physiquement agressée par une firme de sécurité privée de la compagnie Yanacocha, après s’être opposée à l’extraction dans la Sierra au nord du pays.

Les Péruviens, dont bon nombre vivent dans l’extrême pauvreté depuis plusieurs années, commencent pourtant à faire entendre leur voix. « Il y a un éveil collectif, pour contester l’”extractivisme” minier et pour s’organiser, pour démontrer leur opposition à ces projets », affirme pour sa part la responsable de l’Amérique latine et des Caraïbes chez l’ONG de solidarité internationale Alternatives, Marcela Escribano. Malgré les volontés des communautés touchées, « l’élite péruvienne veut vivre de l’exploitation des ressources naturelles. Ils en ont beaucoup, c’est une bonne chose pour l’économie », explique Mme Brodeur.

Des ONG serrées à la gorge

L’Aide canadienne au développement international (ACDI) est la seule façon pour les ONG canadiennes de recevoir du financement de la part du gouvernement fédéral pour leurs différents projets. L’ACDI fonctionne présentement grâce à un système d’appels d’offres. Grâce à cette formule, le gouvernement peut choisir l’orientation des actions des divers organismes. Ces actions sont toutefois souvent à l’avantage des intérêts économiques du pays. Pour Gérald Larose, la situation est inacceptable. « C’est un peu comme de la responsabilité sociale de ces entreprises, mais seulement pour sauver leur mise. Que les ONG soient complices des minières, c’est révoltant », dénonce-t-il.

Certaines ONG ont décidé d’accepter les appels d’offres de l’Aide canadienne au développement, et ce, malgré le fait qu’elles doivent appuyer les communautés, mais aussi les minières. L’organisme Vision mondiale, actif partout sur la planète, est du nombre. « C’est beaucoup de sous, sur beaucoup d’années, donc il y a des ONG qui accepteraient [de travailler avec les minières] parce qu’elles disent que c’est un moindre mal », explique Mme Brodeur.

Certains autres organismes ont perdu leur financement fédéral sous le règne de Stephen Harper. « Il y a une espèce de discrimination politique, idéologique, pour les organisations qui avaient un point de vue critique envers le gouvernement », fait valoir Marcela Escribano. Le changement de parti au pouvoir a toutefois créé un dialogue entre les organismes bannis et l’ACDI.

Le Canada comme « paradis fiscal »

Le Canada abrite présentement les sièges sociaux de 75 % des compagnies minières mondiales, selon l’Association minière du Canada. De nombreux avantages sont offerts aux multinationales, tant au plan économique, politique que de la main d’œuvre. « La fiscalité canadienne est un paradis fiscal pour les minières. Elles ne paient pratiquement rien. C’est du bonbon pour elles », remarque M. Larose. « Il y a une expertise canadienne dans le secteur minier, à la Polytechnique, mais en Colombie-Britannique également. C’est une industrie qui est présente sur le terrain », ajoute pour sa part Caroline Brodeur.

Même si les divers organismes canadiens sont remplis de bonne volonté, ce n’est pas à eux d’aller « sauver » les peuples dits « du Sud », soutient la rédactrice du mémoire sur le sujet. « C’est aux gens à dealer avec le pouvoir. C’est très politique au final, plus que juridique. Ce n’est certainement pas à nous d’aller leur dire quoi faire. »

 

Photo: WIKICOMMONS

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