Le piège du sensationnalisme

Quelques jours avant l’attentat qui a secoué la ville de Québec tard en soirée dimanche, le professeur de sociologie à l’UQAM Rachad Antonius donnait une conférence ayant pour titre «L’islamophobie au temps de Daesh : le choc des métaphores». Sommes-nous racistes au Québec? L’islamophobie s’y exprime de plus en plus ouvertement, a avancé l’universitaire, tout en pointant notamment du doigt les médias sensationnalistes.

Au Québec, comme ailleurs en Occident, le débat sur les accommodements religieux et la neutralité de l’État a été «contaminé par les images des conflits» de pays arabes, soutient Rachad Antonius. Et la couverture sensationnaliste des médias y a contribué. «Les conflits au Proche-Orient sont pris en dehors de leur contexte. C’est la violence et des choses qui choquent qu’on met de l’avant», tranche-t-il. «Les médias doivent cesser de parler de l’islam seulement lorsqu’il y a du sang qui coule, qu’il y a des bombes ou des problèmes controversés», a-t-il en outre ajouté en entrevue avec le Montréal Campus.

«Si on souhaite analyser l’islamophobie au Québec, la jauger à sa juste valeur — sans surenchère ni banalisation —, et mettre en place des moyens pour la combattre, il faut prendre en compte l’un de ses réfracteurs majeurs : la montée de l’importance sociale et politique de l’islamisme au Proche-Orient, lançait M. Antonius en ouverture de sa conférence, mercredi.

Aussi, «la scissure entre islam et islamisme est cruciale», d’après lui. Le sociologue de formation ne croit pas que les médias aient un rôle à jouer dans l’analyse du discours islamiste et dans la distinction claire qui, à son sens, doit être faite entre l’islamisme, une «lecture politique de la tradition religieuse qui l’instrumentalise», et l’islam. Que doivent-ils faire alors pour éviter d’alimenter le racisme ambiant? «Là où ils ont un rôle à jouer, c’est contre les stéréotypes, d’abord. Les médias sont le reflet des sociétés, explique-t-il. Là où ils jouent un rôle négatif, c’est quand ils alimentent la peur de l’étranger et qu’ils donnent donc aux musulmans le sentiment d’être victimes et discriminées.»

En somme, le spécialiste des communautés arabes au Québec souhaite que les médias «couvrent moins, mais plus profondément» les actualités à l’international. «Au lieu de répéter les mêmes nouvelles en deux minutes, quinze fois dans la journée, qu’on les regroupe et qu’on en parle plus profondément pendant 20 minutes», laisse-t-il entendre.

L’après 11-Septembre

Les attaques terroristes perpétrées le 11 septembre 2001 en sol américain ont «changé plusieurs choses», a aussi mis en lumière le professeur. Avant ce point de bascule, les sociétés arabes et musulmanes étaient celles qui «recevaient surtout la violence politique». Leurs conflits nous apparaissaient abstraits, éloignés, poursuit-il. Depuis, «la violence s’est approchée de nous». Les arabes, que l’on a «liés d’une certaine façon à ces attaques», sont devenus les suspects des politiques sécuritaires de l’Occident.

Selon l’État de la nouvelle 2016 de la firme Influence Communication, le groupe armé État islamique a bénéficié entre 2013 et 2015 d’une hausse de 6000% de sa couverture dans les médias québécois. «Depuis 2013, l’organisation terroriste a vu sa couverture multipliée par 50. Jamais Al Quaïda n’a connu une telle explosion de sa notoriété, même au lendemain des attentats du 11 septembre 2001», peut-on lire dans le rapport. Pourtant, poursuit Influence Communication, citant une étude parue l’an dernier et destinée au département d’État américain, «le nombre d’attaques terroristes avait diminué dans le monde. Comment expliquer alors que la médiatisation de l’État islamique ait connu une aussi nette augmentation? Le mystère reste entier.»

 

Photo: MYRIAM EDDAHIA MONTRÉAL CAMPUS
Une veille de solidarité avec les victimes de l’attaque perpétrée contre la grande mosquée de Québec, dimanche, s’est tenue lundi à Montréal.

 

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