Second souffle

Malgré le déclin de sa diffusion sur les chaînes spécialisées comme MusiquePlus et MusiMax, le vidéoclip québécois connaît un développement sans précédent grâce à la diversification des plateformes et à la multiplication des boîtes de production locales. Derrière ce phénomène : les progrès technologiques et une bonne dose de créativité.

Pour la réalisatrice de la boîte de production Roméo & Fils, Marine van den Broek, les mœurs sont en train de changer. « Aujourd’hui, le clip va plus loin que la performance d’un artiste et lui apporte un univers, une couleur, une vibe, ce qui lui permet de se définir en tant qu’identité à part entière au-delà de sa musique », explique-t-elle.

La raison d’être du support audiovisuel n’a pas changé. L’apport des vidéoclips demeure très important dans la carrière d’un musicien, renchérit la chef de pupitre musique du magazine Voir, Valérie Thérien. « C’est une invitation à découvrir son travail et c’est ce qui aide la relève à se faire connaître », fait-elle savoir. C’est ce qui est arrivé à Justin Bieber: son premier vidéoclip de la pièce One Time a été visionné plus de 100 millions de fois en six mois et lui a permis d’acquérir une renommée internationale.

Le réalisateur du collectif Les Gamins, Vincent Ruel-Côté, reconnaît que le vidéoclip sert avant tout d’outil promotionnel pour un artiste. Malgré cela, les réalisateurs gardent souvent une grande liberté créative et le média peut devenir une œuvre « au même titre qu’une peinture », illustre-t-il. Dans le même ordre d’idées, le réalisateur indépendant Laurence Morais, alias Baz, considère le vidéoclip comme un terrain de jeu où les réalisateurs peuvent se développer et tester de nouvelles manières de faire. « Le clip, c’est le délire artistique », lance-t-il.

Caractérisation difficile

Pour Marine van den Broek, les vidéoclips suivent des effets de mode. « Le côté hipster est aujourd’hui prédominant, de même que le côté très décousu, où on arrête la narration et on se permet toutes les libertés qu’on veut », remarque-t-elle. Elle ajoute qu’« on ne se contente plus de filmer l’artiste en train de chanter devant la caméra, on cherche des concepts. »

Il est néanmoins difficile de regrouper les vidéoclips actuels en un seul grand courant. « Il y a tellement de gens qui en font qu’il y a de tout : du storytelling, de l’expérimental, des gens qui reprennent des styles des années 80, le do-it-yourself… On est dans l’ère mash up ; tout existe et tout est mélangé », observe Baz. Les genres cinématographiques, d’animation et réalistes sont également de la partie, souligne Vincent Ruel-Côté.

On peut penser au vidéoclip de la pièce Souris de Joëlle Saint-Pierre qui a été entièrement dessiné et animé par le réalisateur Romain F. Dubois. Dans le genre cinématographique, la mise en images de la chanson I Don’t Want to Break Your Heart, de Cœur de pirate, réalisée par Martin Pariseau, illustre le tourment d’une rupture avec une esthétique très recherchée. Dans un style plus coloré, le vidéoclip Get Lost de Breakbot, réalisé par Dent de Cuir, combine une musique électro-funk à une abondance de couleurs pastel et un montage qui rappelle les GIFs animés.

Valérie Thérien note tout de même deux tendances récentes qui se démarquent : « Sur la scène locale, c’est soit très imagé, éclectique et éclaté, comme les chansons de Klô Pelgag ou de Philippe Brach, soit plus abstrait, par exemple Safia Nolin pour Technicolor. » La première catégorie raconte des histoires qui sortent de l’ordinaire, voire loufoques, tandis que la deuxième présente un visuel simple, sans trame narrative et parfois même sans présence humaine.

L’essor d’Internet et la démocratisation du matériel de production ont révolutionné le média, estime par ailleurs Baz. « En 2001, si tu voulais filmer un clip de manière professionnelle, c’était impossible avec les outils du bord. Maintenant, tout le monde peut en faire », explique l’ancien reporter de MusiquePlus. Les vidéoclips n’ont plus besoin de passer à la télé pour être vus : sur le Web, ils peuvent tout de suite rejoindre les masses.

Vincent Ruel-Côté abonde dans le même sens. « Les réseaux sociaux et YouTube permettent de voir des trucs qui se font partout dans le monde et qu’on n’aurait jamais vus autrement », affirme-t-il. À son avis, un vidéoclip peut maintenant devenir viral en quelques jours avec les bons contacts et la bonne promotion. « Je pense qu’Internet a donné un second souffle au métier », avance-t-il. Dans cette optique, les capsules « Bienvenue à Enfant-Ville », produites par Philippe Brach pour promouvoir son dernier spectacle, ont suscité un véritable engouement. Les deux épisodes de l’émission pour enfants, qui tourne mal,  ont récolté plus de 100 000 visionnements dès leur première semaine de sortie.

Perspectives d’avenir

Les réalisateurs interviewés ont bon espoir que le vidéoclip saura perdurer grâce à sa capacité de s’adapter aux nouvelles technologies. Selon Baz, la vidéo 360° et la réalité virtuelle ont de fortes chances de transformer l’expérience cinématographique au sens large, incluant le vidéoclip.

Des changements sont aussi à prévoir quant au financement de cet art. Baz souligne l’apparition de services de diffusion payants, comme Tidal ou Apple Music. « C’est la guerre des copyrights », déplore-t-il. Le réalisateur insiste sur le fait qu’il ne veut pas en faire partie. Il souhaite simplement diffuser ses vidéoclips sur un maximum de plateformes afin qu’ils soient vus par le plus de personnes possible. « En tant que créateur, c’est ça mon intérêt », soutient-il. De son côté, Marine van den Broek s’attend à une augmentation du placement de produits, « mais non sans contraintes », avise-t-elle.

À l’heure actuelle, deux programmes privés de subvention sont accessibles aux réalisateurs; MuchFACT finance des projets canadiens anglophones et MaxFACT appuie les initiatives francophones. Ceux-ci offrent des bourses allant jusqu’à 10 000 $ et 15 000 $, respectivement, par vidéoclip sélectionné selon le contenu musical, le traitement visuel, la viabilité de la production et la popularité de l’artiste. Autrement, c’est le producteur et la maison de disques qui doivent trouver des fonds.

« Les boîtes de production réussissent à faire des miracles avec très peu d’argent », s’étonne Valérie Thérien. À son avis, le vidéoclip est loin d’être mort. « Même si les supports de diffusion et les techniques ont changé, l’impact est encore là et tout ce qu’il faut, ce sont de bonnes idées et des réalisateurs motivés », assure-t-elle, optimiste.

Photo: CATHERINE LEGAULT MONTRÉAL CAMPUS
Le réalisateur montréalais Laurence Morais, alias Baz, se démarque à l’international avec son style éclectique.

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