Sans texte ni complexe

Enjamber des bancs massifs en bois et s’enfoncer dans le noir absolu d’une église du centre-ville pour pénétrer une pièce où valsent les tables rondes et s’élèvent de lourds rideaux de velours rouge : parcours atypique d’un mardi soir pour assister à une représentation qui l’est tout autant. Les Productions de l’Instable explorent depuis 2011 les personnages et ambiances dans une formule innovatrice qui plonge des comédiens improvisateurs dans un univers théâtral inventif, loin du duel classique entre deux équipes.

Il ne faudrait pas pousser l’audace jusqu’à parler d’une partie d’impro. L’Instable se veut une refonte du traditionnel affrontement en duel sur la patinoire d’improvisation. « L’instable c’est du théâtre spontané où on utilise l’improvisation pour créer», explique Frédéric Barbusci, cofondateur de la troupe. La compagnie est, effectivement, beaucoup plus près de l’exploration théâtrale que du sketch de fond de bar. Les acteurs sur scène créent de façon marathonienne, durant deux heures, de petites histoires accompagnées d’un musicien, dont les mélodies contribuent à la finesse des récits.

La représentation du 1er novembre, nommée TROIS, était une vraie course à relais. Sans thèmes, les comédiens passaient d’une histoire à l’autre. Ils interrompaient la scène dès que l’un d’eux prononçait « 1-2-3 », une sorte de code pour changer de situation. « C’est de l’improvisation pure, on ne réfléchit pas et d’après moi, c’est là qu’un improvisateur est à son meilleur », a témoigné Johanne Lapierre, une des comédiennes de la soirée.

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Johanne Lapierre, comédienne des Productions de l’Instable

Le lieu choisi pour les représentations n’a pas laissé le public indifférent. À même un ancien sanctuaire, la scène encadrée d’escaliers s’ouvrant sur des balcons de part et d’autre conférait au spectacle un caractère mythique, sacré. La longue durée accordée aux comédiens pour mettre en place les situations rendait le public plus attentif au travail créatif, comme le relèvent les trois interprètes  de la soirée, Frédéric Barbusci, Johanne Lapierre et Dominiq Hamel. « Ce qu’on veut c’est déranger, c’est aider les gens à se réinventer », a précisé Dominiq Hamel, musicien de la troupe. « On veut stimuler les comédiens pour les convaincre de créer ensemble, en complicité », a renchéri Rachel Gamache, codirectrice de l’Instable.

La petite foule, constituée d’un public d’environ 40 personnes, semblait apprécier l’innovation de la méthode. Alors que certains s’étonnaient de l’absence totale de textes mémorisés précédemment, d’autres saluaient le réalisme des situations qui ont su capter leur intérêt. « Ce que j’admire, c’est cette mise en danger constante », a affirmé Maryse, une spectatrice quinquagénaire, conquise depuis longtemps par les comédiens présents.

La démarche des comédiens est explicite, rendant la prestation comparable à un atelier exploratoire où le public prend connaissance du travail en coulisses. Les spectateurs peuvent d’ailleurs écouter des baladodiffusions sur le blogue de l’Instable pour bien comprendre la démarche des créateurs.

Toujours plus de créateurs

Les motivations du fondateur des Productions de l’Instable, Frédéric Barbusci, sont franches. Il veut se distancier de ce qui a déjà été fait. « J’aimerais bien rapatrier les gens qui ont regardé beaucoup d’impro et qui se sont dit : “Bon, c’est beau, j’en ai assez vu!” »

Le comédien affirme avoir tenté de faire bouger plusieurs autres ligues dans lesquelles il a joué, mais la force des traditions bien ancrées dans celles-ci rendait les changements bien ardus. M. Barbusci souhaitait déployer le pouvoir créatif de l’improvisation en prenant le temps de placer les histoires, d’apprécier les silences même si le spectacle ne faisait alors pas s’esclaffer  l’assistance en tout temps.  Il y a cinq ans, il a alors décidé de présenter huit soirées de création sous la bannière des Productions de l’Instable. L’an dernier, le concept a été repris sous le nom de « Dompteur », où des spectacles étaient produits mensuellement. Une programmation complète et hebdomadaire a été établie cette année au Balcon Cabaret Music-Hall, tous les mardis, jusqu’en mars.

Les comédiens se montrent bien confiants. Selon eux, l’improvisation théâtrale ne cessera d’évoluer et leur art restera vivant, aujourd’hui plus que jamais. L’improvisation théâtrale a d’ailleurs acquis un statut particulier le 20 octobre. L’Assemblée nationale a voté à l’unanimité une motion pour reconnaître cette discipline comme un courant emblématique de la culture québécoise et une discipline à part entière. Cette reconnaissance fait l’effet d’une tape dans le dos pour la vingtaine de ligues post-collégiales qui existent à Montréal. « Il n’y aura jamais trop de créateurs, l’impro a toujours été une façon de voir le théâtre! Cette mesure va nous permettre de penser, de nous associer pour faire vivre notre art! », a annoncé fièrement Johanne Lapierre, comédienne.

Photos: CATHERINE LEGAULT MONTRÉAL CAMPUS

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