L’art contemporain vu par sept artistes issus des Premières Nations

« On ne veut pas être dérangés. On ne veut pas déranger, mais en même temps on veut. On sent qu’on dérange, qu’on dérange les Blancs, les Blancs nous dérangent », relate Michèle Bélanger, directrice générale de la programmation et production du Programme français à l’Office National du film (ONF).

C’est de cette réflexion faite par sept jeunes artistes établis, multidisciplinaires et francophones, issus de la communauté inuite et des Premières Nations, qu’est né Déranger, un laboratoire de création intensif chapeauté par l’ONF. Ces artistes d’origine autochtone, qui ne se connaissaient pas auparavant, ont planché pendant cinq jours sur des prototypes d’œuvres d’art médiatique qu’ils ont finalement dévoilés le 10 novembre en soirée.

Pour Caroline Monnet, artiste multidisciplinaire algonquine, commissaire et porte-parole du laboratoire Déranger, le but de l’exposition est « de briser des boîtes dans lesquelles on met trop souvent [les autochtones] pour aller au-delà des perceptions et d’offrir des œuvres qui permettent à tous de s’identifier et ce, peu importe son origine. »

Le prototype conjoint des Attikameks Eruoma Awawish, Meky Ottawa et de l’artiste innue Jani Bellefleur-Kaltush, par exemple, remplit avec succès cette mission. Les trois femmes cherchent à faire vivre aux spectateurs l’expérience de la tente tremblante, une cérémonie autochtone puissante qui permet de communiquer avec le monde spirituel.

Le prototype ressemble, pour l’instant, à un espace parfaitement circulaire avec une seule entrée, au milieu duquel il y a un autre espace rond, juste assez grand pour accueillir deux personnes. Cet espace fera office de tente dans laquelle une trame sonore imitera l’ambiance de la cérémonie originale. « Cette cérémonie est encore très secrète dans nos communautés, explique Eruoma Awawish. Notre prototype ne révèle donc pas tout de cette expérience. » Elle précise que les autochtones feront automatiquement le lien avec la cérémonie, mais que les autres vivront quand même une expérience qui se rapprochera de la réalité.

Plus grande visibilité

Des initiatives comme celle-là offrent une plus grande vitrine au travail de ces artistes, selon Meky Ottawa. « L’implication de l’ONF a fait en sorte que des conservateurs de musée sont venus cet après-midi pour voir nos maquettes », précise-t-elle. Michèle Bélanger avait convié le Musée d’art contemporain, le Musée des beaux-arts de Montréal, le Jardin botanique, le Quartier des spectacles, le Musée McCord et l’Arsenal, entre autres, à venir voir les prototypes. Tous les conservateurs sont venus. « Il y a donc un intérêt » clame-t-elle. Selon la directrice, ils ont été surpris, car « ils s’attendaient à des germes d’intentions et ont été plutôt confrontés à des prototypes d’œuvre dont les discours ont une grande portée ».

Même si l’ONF offre une certaine visibilité à ces artistes, ceux-ci n’en dépendent pas pour faire valoir leur art, car « individuellement, ils sont tous établis », explique Michèle Bélanger.

La visibilité engendrée par l’agence culturelle canadienne peut contribuer à sensibiliser le public québécois d’après Caroline Monnet. Les prototypes élaborés par elle et ses pairs s’inscrivent dans l’art contemporain, ils ne « romantisent pas l’art autochtone ». L’artiste insiste d’ailleurs sur le fait qu’il y avait une volonté d’amener une « normalité » dans ce laboratoire. « La première chose que l’on dit en arrivant dans une salle ce n’est pas : “Allô, moi je viens d’une Première Nation” », plaisante-t-elle.

Des modèles

Bien que le laboratoire s’inscrive dans l’urbanité et la modernité en étant présenté à Montréal, une collaboration avec le Wapikoni mobile, un studio ambulant de création audiovisuelle et musicale, créé par des gens issus des communautés des Premières Nations, a permis de conserver des traces de l’expérience. Chaque jour, un cinéaste du studio réalisait des capsules vidéo du processus artistique des sept participants pour que l’information circule dans les communautés.

« J’aimerais ça que ça puisse inspirer des jeunes, que ça les influence pour qu’ils se disent : “moi j’aimerais ça me voir là à un moment donné” », souhaite Mme Bélanger. L’existence de ces artistes prouve à elle seule aux jeunes autochtones qu’il y a une voie tracée pour eux, renchérit-elle.

Meky Ottawa pense également que ces jeunes sont plus fiers de leur identité grâce aux artistes et à l’art, car cette discipline lie tout le monde selon elle. « Pour que les gens t’écoutent et qu’il y ait une différence pour gagner ton combat, il faut les séduire dans l’art, la poésie et la musique », croit-elle.

Photo: JEAN BALTHAZARD MONTRÉAL CAMPUS
Prototype d’oeuvre des artistes Caroline Monnet et Ludovic Boney

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