Les failles de la Politique 16

Au moment où le gouvernement du Québec annonce ses stratégies dans la lutte en matière de violences sexuelles, l’UQAM tente d’agir rapidement afin d’ajuster sa Politique 16, en cours de révision depuis au moins deux ans. Mais lorsqu’elle sera mise en place, des intervenantes de l’Université craignent que la culture du viol soit toujours présente, notamment parce qu’elle ne reconnaît pas les gestes posés hors campus, dont les chambres étudiantes.

« Les travaux ont tardé parce que la direction voulait fusionner les politiques 16 et 42 pour n’avoir qu’une politique sur le harcèlement, fait valoir la représentante étudiante sur le conseil d’administration de l’UQAM, Nadia Lafrenière. Selon l’Université, le harcèlement sexuel n’est qu’un harcèlement parmi d’autres. L’UQAM disait que si on n’en parlait pas, ça n’allait pas exister. »

L’annonce du gouvernement d’élaborer une loi-cadre contre les violences sexuelles aurait convaincu l’administration de l’importance d’achever les travaux de révision de la Politique 16. « L’UQAM réagit quand on la force à agir, quand elle est au cœur d’un scandale dans les médias, déclare la professeure de science politique Geneviève Pagé, membre du comité de révision de la Politique 16. Quand on a remis le dossier des violences sexuelles sur la table avec l’annonce de la loi, l’UQAM a voulu qu’on redouble d’ardeur dans les travaux alors que cela fait environ deux ans qu’on travaille sur ces révisions. »

En effet, la porte-parole de l’UQAM, Jenny Desrochers, relate que « les actions qui sont menées par l’UQAM entourant ces enjeux vont dans le sens des préoccupations de la ministre [responsable de la Condition féminine] », sans détailler l’avancement des travaux en cours.

Hors des murs de l’UQAM

Déléguée au comité féministe du Syndicat des étudiant-e-s employé-e-s de l’UQAM (SETUE) qui siège aussi au comité de révision de la Politique 16, Marie-Lee Beausoleil soutient que son syndicat ne considère pas la Politique 16 comme étant une solution suffisante pour enrayer toutes les violences à caractère sexuel à l’UQAM, principalement parce qu’elle n’a pas autorité en dehors du campus.

« Les bâtiments de chambres étudiantes louées appartiennent à des compagnies privées et non à l’UQAM, qui se décharge de ses responsabilités, avance-t-elle. Aussi, la Politique 16 reste floue lorsqu’il s’agit des relations en dehors de l’université. Par exemple, si un directeur de maîtrise rencontre son étudiante afin de discuter professionnellement autour d’un café, la Politique 16 ne pourrait s’appliquer en cas de violences sexuelles. »

Les résidences de l’UQAM sont effectivement gérées par Résidences universitaires UQAM, une entreprise auxiliaire à l’Université. La porte-parole de l’établissement confirme que « la dimension du “champ d’application” est l’un des éléments qui font partie du processus de révision du comité qui [se préoccupe de la Politique 16] ». Toutefois, elle précise que le Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement (BIPH) « accueille toutes les personnes de la communauté qui vivent des situations de harcèlement, d’agressions et de violences à caractère sexuel, et ce, peu importe le contexte dans lequel se produit la situation, soit sur ou à l’extérieur du campus ».

La bonne volonté est là, mais ce n’est pas suffisant pour régler le problème, déplore Manon Bergeron, professeure en sexologie à l’UQAM et chercheure principale de l’enquête Sexualité, sécurité et interventions en milieu universitaire . Celle-ci s’inquiète du manque de financement. « Il faut des sous, de l’investissement de la part du gouvernement, mais aussi de l’UQAM. Cette politique doit améliorer le processus de dépôt de plainte sécuritaire, confidentiel. Ce n’est pas assez clair [les recours] qui s’offrent à la victime », souligne-t-elle.

Processus de plainte

L’enjeu le plus important auquel le comité de révision de la Politique 16 essaie de trouver une solution est celui de la confidentialité. « La loi exige le respect de la vie privée, mais le processus de plainte doit être revu, car il est problématique », indique Geneviève Pagé. Il arrive que des victimes côtoient leur agresseur sur le campus sans qu’elles ne sachent les sanctions qu’il leur sont imposées, souligne Nadia Lafrenière.

Il faut également des intervenants spécialisés, formés en la matière. « L’UQAM en avait une, mais le poste a été coupé l’an dernier avec les compressions budgétaires », fait remarquer Manon Bergeron. Cette solution est également proposée par Marie-Lee Beausoleil. « L’UQAM doit faire preuve d’honnêteté envers les étudiantes afin de rétablir les liens de confiance brisés. Cette politique se doit donc d’être plus menaçante », affirme-t-elle.

Si l’annonce de la création de la loi-cadre démontre que le gouvernement est prêt à agir afin de contrer les violences sexuelles, Nadia Lafrenière reste sur ses gardes. « Le gouvernement a annoncé qu’il allait dévoiler un plan d’action, mais on ne sait pas encore ce qu’ils vont faire concrètement », relativise la représentante étudiante au CA de l’UQAM. D’autant plus qu’une politique ne résoudra pas à elle seule les problèmes de violences sexuelles sur les campus, selon Geneviève Pagé. « La Politique 16, ce n’est qu’un des éléments parmi les initiatives pour rétablir la confiance à l’UQAM », juge-t-elle.

« Il faut arrêter de croire que ce ne sont que des cas isolés », scande Manon Bergeron. Elle garde toutefois espoir, car plusieurs personnes se mobilisent pour mettre de la pression sur le gouvernement afin de forcer des changements. Il faut une transformation de la culture en général, croit Geneviève Pagé. « On doit continuer à garder une pression, c’est la seule manière de faire changer les choses. »

Photo: CATHERINE LEGAULT MONTRÉAL CAMPUS
Les travaux de refonte de la Politique 16 contre le harcèlement sexuel à l’UQAM ont été amorcés il y a deux ans, sous la responsabilité du comité de rencontres de gestion et de direction.

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