World Press Photo 2016 : Photographies à la merci du jury

Chaque année, le World Press Photo attise les débats concernant les critères éthiques et esthétiques des images sélectionnées. L’édition 2016, qui vient tout juste de se clore à Montréal, n’échappe pas à la règle. C’est l’interprétation et le flair des membres du jury qui demeurent les critères ultimes pour déterminer quelles photographies — parmi les quelque 83 000 clichés soumis — seront déclarées grandes gagnantes.

Chacune des images dispose d’à peine quelques secondes pour conquérir les jurés. Bien qu’il n’existe pas de critères préétablis, les photographies primées sont sujettes à une grande variabilité d’une année à l’autre. C’est la raison pour laquelle une sélection peut osciller entre des images plus artistiques, plus violentes ou plus sensibles, selon le photojournaliste et pigiste au quotidien Le Devoir, Valérian Mazataud. Ce dernier constate que plusieurs aspects du photojournalisme et de l’art ont souvent tendance à se rejoindre.

Plusieurs se sont questionnés sur l’absence de la photographie du jeune Aylan Kurdi, qui avait fait les manchettes en septembre 2015, parmi les clichés sélectionnés. « C’est une photo forte, mais esthétiquement, on [en] fait vite le tour parce qu’elle est moins complexe », explique le directeur du World Press Photo Montréal, Matthieu Rytz.

Celui-ci estime que la photographie qui a remporté le premier prix cette année s’inscrit davantage dans une dimension artistique. Capturée par l’Australien Warren Richardson, cette dernière illustre un migrant et un nouveau-né cherchant à traverser une clôture de barbelés à la frontière serbo-hongroise. « Je suis contre l’usage du noir et blanc aujourd’hui, mais je crois que dans ce cas-ci, c’était un usage légitime », soutient le professeur de photojournalisme au Cégep du Vieux-Montréal, Martin Benoît, en faisant référence aux conditions techniques difficiles dues à l’environnement quasi obscur de la scène. Selon l’enseignant, opter pour le noir et blanc revient habituellement à poser un geste tendancieux qui altère l’image. « Mais il y a des juges qui sont touchés par le noir et blanc », déplore-t-il.

« Une bonne image, c’est une image qui se tient en elle-même, considère de son côté Matthieu Rytz. Elle est très esthétique, mais elle raconte [aussi] une histoire extrêmement puissante. » En ce sens, l’efficacité du photojournalisme repose sur la vérité de ce qui est illustré.

En plus d’être remises en format original RAW, les photographies sont soumises à des vérifications automatisées, qui filtrent l’origine et la quantité de retouches apportées aux images. La véracité de la scène immortalisée repose toutefois sur l’entière honnêteté du photographe. En 2015, la série de clichés de Giovanni Troilo portant sur la ville de Charleroi, en Belgique, avait soulevé un tollé chez ses habitants. Le photographe a ensuite été accusé de mise en scène et de désinformation, puis ses aveux avaient mené à sa disqualification immédiate.

Récompense-t-on le photographe pour son mérite, l’image pour sa singularité et son esthétisme, ou l’évènement pour être survenu? À l’heure où la frontière entre l’art et le photojournalisme s’estompe graduellement, ces questions restent encore d’actualité. « Certains photographes vont travailler sur le long terme en ne produisant pas de photos-chocs parce qu’ils expriment leur langage photographique d’une autre manière, constate Valérian Mazataud. Parfois parce que l’esthétisme qu’ils vont mettre en place n’est tout simplement pas aussi évident. » L’impression qui se dégage d’une photographie dépend de la subjectivité du regard que pose le photographe sur son sujet et le jury sur le rendu final.

 

Photo: FÉLIX DESCHÊNES
Une visiteuse de l’exposition World Press Photo observe le reportage Where the children sleep du photographe suédois Magnus Wennman, gagnant du 3e prix dans la catégorie «People». 

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