La Chapelle se met à nu

L’artiste autochtone Daina Ashbee bouscule une fois de plus les esprits avec sa plus récente création intitulée Pour, une chorégraphie déchirante, quoique fascinante, qui aborde les tabous liés aux menstruations. Un spectacle durant lequel le public n’a qu’à « Deal with it », tel que le souligne l’artiste.

La tension est palpable dès l’entrée en salle où règne une obscurité peu conventionnelle. Un premier défi pour certains spectateurs qui s’en sont d’ailleurs plaints par la suite au théâtre La Chapelle, confie la chorégraphe. Mais à ses yeux, il est impératif de mettre les spectateurs dans une position déstabilisante. « C’est trop facile d’entrer dans un théâtre, de se mettre confortable et de juger ce qui se déroule devant soi, a affirmé Daina Ashbee. La danseuse endure une douleur physique et nous on doit endurer de la regarder. »

Après les cris stridents et ponctuels, le silence se fait petit à petit dans la salle sombre. Une silhouette se détache au fond de la scène et les projecteurs s’illuminent brusquement à en aveugler les spectateurs.

Le simple fait de contempler la danseuse Paige Culley, torse nu, le regard un peu vide comme en signe de soumission ou d’abattement, perturbe d’entrée de jeu l’auditoire. Le temps s’égrène en longues secondes, en longues minutes alors qu’elle déboutonne indolemment son jean. Malaise palpable. Le vêtement finira en boule sur la scène, seconde peau inutile pour la chorégraphe qui préfère travailler le corps nu.

Daina Ashbee s’est inspirée de la chasse aux phoques pour les mouvements, le décor et la symbolique. « Je voulais avoir un spectacle abstrait, puisque je voulais travailler les menstruations, mais sans les décrire ou simplement présenter un point de vue ou une histoire », a-t-elle expliqué. C’est en recherchant des images que le parallèle du sang sur la glace dans la chasse et du sang des menstruations s’est imposé à la chorégraphe. Le spectacle est effectivement très abstrait et le lien avec les menstruations n’est pas toujours évident. La douleur, elle, est omniprésente, violente et comme naturelle.

Le décor est constitué exclusivement d’un panneau de polystyrène au sol, une sorte de glace métaphorique. S’il a initialement causé des maux à la danseuse, dont la peau était durement éraflée, il aura au final été une source d’inspiration. « On a eu l’idée d’utiliser des huiles végétales pour protéger la peau, et ça s’est révélé artistiquement très intéressant. » Ainsi, la danseuse se roule dans la mixture pour se protéger et en ressortir visqueuse, gluante, naturelle. Abstrait, mais viscéralement révélateur. Ashbee fait appel au voyeurisme naturel et à l’instinct animal du public.

C’est donc par touches suggestives et par des métaphores que la chorégraphe a abordé les menstruations. Puisque le sujet peut être interprété de façon différente en fonction du vécu, l’imprécision a permis à chacun d’avoir sa propre expérience, l’une des plus grandes forces de Pour.

Un spectateur désireux d’être diverti sera probablement déçu par ce spectacle qui s’étire en répétitions et en durées trop longues, de l’aveu même de la chorégraphe. Mais c’est voulu, et l’objectif est d’impliquer le public, de le rendre presque participatif, de le confronter. On ressort de Pour un peu désorienté et songeur, et ce n’est peut-être pas une mauvaise chose.

Photo : Daina Ashbee

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