Chasse gardée critiquée

DOSSIER RAP QUEB | Effervescent pour certains, hermétique pour d’autres, une chose est sûre, le milieu du rap au Québec fait jaser. Un petit groupe d’artistes parvient à tirer son épingle du jeu dans un univers masculin tissé serré, où l’humour point parfois. Mais ce ne sont pas les seuls à savoir jouer avec le rythme et la poésie ; les femmes et la communauté LGBTQ ont aussi leur mot à dire.

Alors que certains rappeurs foulent les planches dans les festivals de renom, ce n’est qu’un petit nombre d’artistes établis dans le milieu qui atteint ce niveau de représentation. Les nouveaux venus doivent mettre les bouchées doubles pour réussir à prendre leur place dans l’industrie.

Le rap est né au cœur des années 1970 dans les ghettos américains alors que la population noire cherchait une manière de faire entendre ses revendications. Aujourd’hui, ce mouvement aurait perdu de son essence, croit le groupe émergent québécois RBV, qui a lancé son premier opus en février 2016. « Si on regarde les premiers artistes hip-hop, c’étaient des révolutionnaires, des gars qui voulaient changer l’aspect social et politique de leur situation. Mais maintenant que le rap s’est commercialisé, il y a une déresponsabilisation dans leur art, c’est rendu du divertissement », dénonce Antoine Renzo, un membre du groupe. Ainsi, il dit ne pas identifier son art aux artistes rap qui connaissent du succès en ce moment, car il soutient que le rap a été dénaturé.

Les membres du groupe sont pourtant conscients qu’il sera difficile de faire leurs preuves. « Ce qu’on fait ce n’est pas de la pop. Notre but ultime, c’est d’exprimer une idéologie, de prendre position. On veut se lancer de façon indépendante, car on veut rester fidèles à nous-mêmes », dit Marco Tétreault.

Pour sa part, Samuel Ricard, animateur de l’émission Hip Hop Café Radio sur CISM qui se consacre autant aux artistes de la relève qu’aux vétérans du rap québécois, ne croit pas en l’hermétisme du milieu rap au Québec; il y voit plutôt un boom. « Du côté francophone par exemple, nous avons des groupes qui sont de plus en plus visibles à Montréal comme Les 13 Salopards, L’Amalgame, Ségala, BKLLOYD. C’est sans parler de la scène anglophone rap à Montréal qui est littéralement en train d’exploser », souligne-t-il.

Celui-ci concède toutefois qu’il manque de diversité dans l’offre présentée dans les grands médias. « À quand la présence de Kaytranada, d’A-Trak, High Klassified sur le plateau de Tout le monde en parle ?, s’interroge-t-il. Eux qui font pourtant rayonner le son montréalais et sa scène de producteurs à travers le monde… »

Sous les projecteurs… parfois

Le rap reste le genre musical le plus écouté en ligne au monde, selon un recensement réalisé par Spotify en 2015. Le rap québécois n’y fait plus exception: il fait désormais parler de lui aux heures de grande écoute sur les ondes de Radio-Canada, il trouve sa place dans la programmation des festivals comme les Francofolies et Osheaga, et il a gagné en reconnaissance dans les galas qui récompensent la musique d’ici. Le public a pu découvrir des artistes du milieu du rap, comme Loud Lary Ajust, Dead Obies, Brown ou Koriass qui ne jouissaient pas d’une telle visibilité avant de percer au courant des dernières années.

L’industrie classique est réticente aux nouveaux venus, car elle y voit une compétition […]
Antoine Renzo, membre du groupe rap RBV

Toutefois, Samuel Ricard constate également le manque de diversité des artistes qui sont mis de l’avant dans les médias. « Parce que certains groupes ne se sont pas retrouvés au cœur d’une controverse, ils ne suscitent pas l’intérêt des grands médias. Par contre, les gens qui suivent le rap québécois savent très bien que plusieurs artistes marquent l’histoire, mais les médias de masse ne se donnent pas la peine de la retracer », se désole celui qui rédige présentement un mémoire sur la scène rap francophone montréalaise.

Une ouverture qui s’accroît

Le fondateur de la maison de disque 7ième ciel, spécialisée dans le hip-hop québécois, Steve Jolin, soutient que la place croissante qu’occupe le rap dans la sphère médiatique s’explique par une plus grande ouverture des diffuseurs. « C’était une question de temps, les décideurs sont de plus en plus jeunes et ils ont été un jour ou l’autre en contact avec la culture hip-hop. Ceux qui pensent encore que le monde n’aime pas le rap sont en train de passer à côté d’une belle occasion d’être de leur temps », remarque-t-il. L’effervescence du mouvement, favorisée entre autres par les médias sociaux, permet aux nouvelles têtes de partager leur matériel plus facilement. Les industries indépendantes commencent à prendre de plus en plus de place, car tout le monde peut produire à la maison, ce qui déplait aux maisons de productions déjà établies. « L’industrie classique est réticente aux nouveaux venus, car elle y voit une compétition certaine et elle veut continuer à faire rouler son marché », constate Antoine Renzo, qui n’a pas les moyens d’enregistrer en studio.

Le Québec ne manque pas d’initiatives pour mettre de l’avant le rap québécois, croit Samuel Ricard, « L’année 2016, c’est aussi l’apparition d’un festival comme La Grosse Semaine de Grosse Chose, le retour des Word Up Battles !, la programmation plus que rap queb du OUMF », observe-t-il

Photo: CATHERINE LEGAULT MONTRÉAL CAMPUS
Le groupe RBV estime que le rap contemporain est dénaturé.

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