Amérique latine : les séquelles d’une censure institutionnalisée

Le plein exercice d’une liberté de presse en Amérique latine demeure toujours une réalité en devenir, selon le professeur retraité du Département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), José Del Pozo. Longtemps après la fin des dictatures de certains pays, les séquelles se font toujours ressentir.

Les gouvernements totalitaires de pays latino-américains ont autrefois censuré sans vergogne la liberté de presse, a rappelé le professeur Del Pozo, présent à l’UQAM pour une conférence dans le cadre de la semaine hispanophone, le 19 octobre dernier. Les portraits de l’ex-président chilien Salvador Allende ainsi que des anciens dictateurs Augusto Pinochet et Jorge Videla teintaient l’allocution du professeur. « Aujourd’hui, ça se passe beaucoup mieux un peu partout, mais il y a des séquelles de l’époque noire de la dictature », affirme-t-il.

Plusieurs cas de violence infligée à des journalistes qui ont rendu publiques des informations gouvernementales ont été répertoriés bien après les périodes de dictature. José Del Pozo a notamment rappelé celui de la journaliste Alejandra Matus, qui a dû s’exiler du Chili en 1999 et bénéficier d’un asile politique. L’événement était survenu à la suite de la publication de son enquête Le livre noir de la justice Chilienne, qui retraçait l’historique de la justice du pays.

Les régimes totalitaires d’hier comme d’aujourd’hui sont équipés de médias d’État, ces appareils idéologiques qui leur permettent aisément de se faire valoir auprès de la population, ajoute le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Jean-Thomas Léveillé. Il avance que dans la plupart des régimes plus ou moins démocratiques, ce sont des cas d’autocensure que l’on retrouve le plus souvent. Les journalistes savent comment interagir avec la limite, évitant ainsi les sujets qu’ils ne peuvent pas aborder sans conséquence, comme des poursuites judiciaires ou des peines d’emprisonnement.

Del Pozo précise qu’au temps de la dictature en Amérique latine, nul ne s’adonnait au journalisme objectif puisque la culture de la peur était très présente. Au Chili, pays d’origine du professeur , la situation était particulièrement précaire. « Il y avait des stratégies pour que les médias — dans toutes les nouvelles et les reportages — associent l’époque d’Allende [président de 1970 à 1973] avec la violence et la corruption, cite-t-il en exemple. Il fallait convaincre les gens que la vie était meilleure avec Pinochet [au pouvoir de 1973 à 1990]. »

Un cas parmi d’autres

Jean-Thomas Léveillé est d’avis que le problème de censure journalistique persiste encore à certains endroits sur le globe. « Quand on regarde les pays où les libertés individuelles sont les plus grandes, ce sont des pays où il y a aussi une grande liberté de presse. », énonce-t-il.

Au cours de sa carrière à l’international, il a pu observer plusieurs cas où la censure était présente et la liberté de presse bafouée. « La meilleure façon [pour un État démocratique] d’exercer une liberté de presse totale est de constamment se remettre en question et surtout d’avoir une société qui est consciente de la valeur des opinions diverses. Une presse libre, c’est aussi une presse pluraliste. », fait-il valoir.

En Amérique latine comme dans certaines autres régions du monde, des traces d’un ancien gouvernement inique sont toujours présentes. Ceci dit, la liberté de presse ne dépend pas uniquement des médias. Le président de la FPJQ pense fermement que « le meilleur moyen de défendre la liberté de presse, c’est la solidarité. Non seulement entre les journalistes, mais la solidarité de toute une société. »


Correction: 2 mars 2017

Une version précédente de cet article indiquait que « Les portraits des dictateurs Augusto Pinochet, Salvador Allende et Jorge Videla teintaient l’allocution du professeur.». Cela est erroné; Salvador Allende n’est pas un dictateur puisqu’il a été élu démocratiquement par le peuple chilien.

De plus, dans les encadrés informatifs, les trois dirigeants étaient présentés comme les « présidents » de leur État respectif. Or, ce terme ne désigne pas adéquatement les individus qui accèdent au pouvoir par la force comme Augusto Pinochet et Jorge Videla.

Nos excuses pour ces erreurs.

 

Photo: FÉLIX DESCHÊNES MONTRÉAL CAMPUS

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *