D’une génération féministe à l’autre

À l’ère de l’intersectionnalité et du pluralisme, l’idée d’un mouvement féministe unifié semble chose du passé. Divergences idéologiques et générationnelles obligent, les militantes doivent désormais miser sur le « féminisme de coalition » pour mener leurs batailles.

C’est du moins le constat qui ressort de la conférence « Les possibles du féminisme », présentée par la professeure au Département de science politique de l’Université Laval, Diane Lamoureux, et organisée par l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) le 17 octobre dernier à l’UQAM. « Il y a des débats irréconciliables au sein même du mouvement féministe. L’idée d’une coalition n’est pas de s’entendre sur tout, mais de s’allier temporairement pour lutter contre un adversaire commun », explique Mme Lamoureux.

Selon la professeure, il faut repenser le projet féministe pour qu’il s’intègre à un projet plus large de justice sociale. Elle considère que les jeunes militantes ont beaucoup de travail devant elles, mais ne doivent pas « faire le féminisme » de la même façon que les générations précédentes. « Chaque génération doit mettre le terme « féministe » à sa main. Le contexte change et être féministe en 2016 n’est pas la même chose qu’en 1970 », souligne-t-elle.

La directrice de l’IREF, Rachel Chagnon, remarque généralement une «compartimentalisation» de l’engagement féministe chez les nouvelles générations, tandis que pour les femmes plus âgées, « toute leur vie fait partie d’un continuum de militance ».

Points de rupture

Parmi les conflits irréductibles, Diane Lamoureux relève les mouvements pro-sexe et abolitionniste quant à la prostitution. « Il y a des désaccords tellement intenses qu’on ne peut pas mettre deux personnes de différentes associations dans la même salle », fait-elle savoir. Même s’il y a des jeunes et des moins jeunes des deux côtés, Rachel Chagnon constate que la moyenne d’âge du groupe pour la prostitution est un peu plus basse que celle des opposantes. Elle note toutefois qu’une partie de celles en accord avec le travail du sexe change de camp en vieillissant, indiquant que certains enjeux seront peut-être toujours intergénérationnels.

Le port du voile est un autre débat diviseur où la directrice de l’IREF observe une moyenne d’âge moins élevée chez celles qui sont pour que chez celles qui sont contre. « C’est profondément ancré dans une perception générationnelle de la religion que les autres générations ne peuvent pas comprendre », soutient-elle. Des différences se font aussi sentir dans le rapport au corps et à l’image qui préoccupe particulièrement les jeunes, tandis qu’à partir de la mi-quarantaine, elles dénoncent davantage l’invisibilisation des femmes âgées.

Malgré tout, Mme Chagnon se réjouit qu’il y ait des ponts et des transferts de connaissances entre celles qui sont dans la lutte depuis longtemps et celles qui reprennent le flambeau. Elle estime que les féministes « vraiment engagées » croient suffisamment en leur idéal pour faire des concessions afin d’atteindre leurs objectifs, quel que soit leur âge.

« La cause prend le dessus sur les préférences individuelles. Une coalition féministe implique à la fois affirmation par rapport à soi-même, mais aussi écoute et empathie par rapport aux autres », affirme Diane Lamoureux.

Photo: CATHERINE LEGAULT
Diane Lamoureux, professeure au Département de science politique de l’Université Laval

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