MURAL: Quelle place pour l’art contestataire?

Reconnu comme le plus important rassemblement d’art urbain en Amérique du Nord, le Festival international d’art public MURAL et sa portée grand public remettent en question la signification de l’art de rue, traditionnellement réputé pour être marginal et perturbateur.

La 4e édition de MURAL s’est déroulée du 9 au 19 juin dans les rues avoisinant le boulevard Saint-Laurent et a invité les artistes des paysages local et international à y produire des murales sous les yeux du public. La particularité de cet évènement d’art urbain, c’est qu’il est non seulement légal, mais financé par les fonds publics. Cette année, le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire et ministre responsable de la région de Montréal, Martin Coiteux, a annoncé l’attribution d’une aide financière de 50 000 $ pour la réalisation de l’évènement.

Pour la street artist Zola, les festivals légaux comme MURAL ont des conséquences sur l’art urbain qui sont visibles avec le temps. Les personnes invitées à y participer concentrent leur énergie sur les œuvres commandées et délaissent l’esprit de la rue. «La diversité de la “scène” du street art illégal à Montréal n’en souffre pas nécessairement parce qu’il y a un roulement, mais ça change beaucoup les dynamiques» fait-elle valoir.  Selon elle, beaucoup d’artistes cherchent principalement à attirer l’attention des organisateurs de ces évènements afin d’y être invités. Zola avait d’ailleurs décliné une invitation pour participer à MURAL il y a deux ans.

Oeuvre de la «street artist» Zola http://zolamtl.tumblr.com/post/143397910103
Oeuvre de la «street artist» Zola
http://zolamtl.tumblr.com/post/143397910103

Le peintre et muraliste Five Eight, l’un des artistes de MURAL 2016, admet que de tels contrats lui offrent moins de temps pour se consacrer à ses projets personnels bien qu’il conserve toujours un intérêt pour la culture du street art traditionnel. «Les organisateurs de MURAL apportent un aspect marketing et commercial à l’art de rue» ajoute-il. Five Eight rappelle que si l’évènement profite avant tout aux organisateurs, il permet aussi aux artistes d’être rémunérés pour leur travail ainsi qu’obtenir une certaine visibilité.

Pour Zola, l’idée que l’on se fait de l’art de rue correspond de plus en plus à une nouvelle forme d’autopublicité. «On ne voit plus le street art comme un moyen de communication radical qui sert les personnes marginalisées. Pour moi, c’est assez clair que le contenu politique est dilué dans les projets de murales légales.» Zola parle également d’une centralisation du street art à montréalais, où tant les artistes en quête de popularité que le public, qui diffuse les œuvres sur les réseaux sociaux, reconnaissent le Plateau Mont-Royal comme le quartier incontournable de cette pratique. «Ça empêche les initiatives locales [dans d’autres quartiers] de se développer» fait-elle valoir.

Plaire au public et aux autorités

MURAL illustre bien la popularité croissante du muralisme depuis les années 2010, une forme d’art urbain où les œuvres sont commandées par les institutions culturelles ou étatiques. Five Eight insiste sur la nécessité de distinguer le muralisme du graffiti et du street art, pour lesquels les artistes n’ont pas de contraintes extérieures.

«Le muralisme est une chose en soi, même si beaucoup d’artistes de MURAL proviennent de la culture du street art et du graffiti», explique Five Eight. Bien que le rapport à la rue y soit différent, les murales sont souvent l’œuvre de graffiteurs et de street artist.

Contrairement au graffiti, le muralisme chercherait à satisfaire les commanditaires et le public plutôt qu’à diffuser un message contestataire, estime le pochoiriste français C215 dans un article de l’Obs. «Outre la liberté d’expression, c’est donc ainsi l’indépendance des artistes qui risque même de disparaître avec cette nouvelle pratique semi-institutionnelle.» Or, le graffiti est lié à la transgression dans l’espace public, précise C215. Il consiste à s’approprier l’espace privé sans le consentement des propriétaires. ; par définition, le graffiti est illégal et réprimé par l’État. Traditionnellement, le graffiti ignore la reconnaissance du public : les graffiteurs veulent plutôt «plaire à leur groupe de référence, et […] déplaire au corps social qu’ils entendent provoquer».

Au contraire, le muralisme est souvent encouragé par les autorités parce qu’il augmente la valeur des propriétés privées dont il orne les murs et que ses retombées économiques profitent aux commerces du quartier. Le muralisme a peu de choses à voir avec la portée subversive du graffiti traditionnel. Lors de sa genèse, la raison d’être de MURAL était d’ailleurs la revitalisation et le développement économique du boulevard Saint-Laurent. L’édition 2016 a joui d’importants partenaires publics et privés comme Fido, le Conseil des arts de Montréal et Tourisme Montréal. Leur financement a permis d’assurer la présence d’artistes d’envergure internationale comme MEGGS et Acidum Project, mais aussi des prestations musicales de DJs reconnus sur la scène américaine, comme Valentino Khan et Mija.

Photo: Alexandra Bahary
Murale réalisée pour le festival MURAL en 2015 par l’artiste Bicicleta Sem Freio

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