L’empathie, cette opportuniste

Les tuques ont été tricotées, la population attendait les bras ouverts : une vague de sympathie a déferlé sur le Québec au moment où des milliers de réfugiés s’installaient dans la Belle province. L’attention médiatique, au départ rivée sur les migrants, s’est refroidie tranquillement au fil des mois, le mouvement de sympathie généralisé avec elle. La partie ne serait donc pas encore gagnée, car des obstacles et des préjugés demeurent, d’après un groupe d’experts en immigration.

Réunis le 29 mars dans le cadre de la Semaine d’actions contre le racisme, trois professeurs et un avocat ont donné une conférence à l’UQAM sur les «dérives sécuritaires et xénophobes» liées à l’accueil des réfugiés. «On remarque une tendance au durcissement des politiques d’immigration, surtout envers les réfugiés et les clandestins», note d’entrée de jeu Paul Eid, professeur de sociologie à l’UQAM et animateur de la table ronde.

Les politiques plus conservatrices à l’égard des migrants et la xénophobie iraient de pair, d’après le professeur honoraire de l’Université de Montréal, Victor Piché. «La montée de l’extrême-droite est en lien direct avec l’ampleur de la crise [des migrants]», affirme-t-il. Il avance que la répression des migrants est «généralisée» et que l’islamophobie «exacerbe» cette répression. «Au Québec, on ne vit pas dans l’islamophobie généralisée. Elle existe cependant», déclare l’enseignant.

Victor Piché a comparé le cheminement des réfugiés à une course à obstacles. «Si certains se rendent jusqu’au bout, beaucoup s’arrêtent en chemin», illustre-t-il. Visas donnés «au compte-goutte», passages clandestins dangereux, frontières clôturées, interception, détention ; ce sont là trop d’obstacles que les Occidentaux jettent aux réfugiés, d’après lui.

Pouvoir médiatique sur l’opinion publique

Bien que la Syrie soit en guerre depuis 2011, tous les panélistes s’entendent pour dire que c’est réellement en septembre 2015, lorsque la désormais célèbre photo du petit Aylan Kurdi a été publiée, que la crise des migrants a été exposée au grand jour dans les médias. Les politiciens leur ont rapidement emboîté le pas, les libéraux de Justin Trudeau promettant d’accueillir 25 000 réfugiés syriens au Canada en l’espace de quelques mois. «Le travail des médias a été de préparer le climat public, d’invoquer le devoir humanitaire des Canadiens», estime le professeur en sociologie de l’UQAM Jacques Beauchemin, en entretien avec le Montréal Campus. «Les médias ont pris le relais du ministère de l’Immigration, on sentait qu’il fallait contrer un discours ambiant négatif», avance-t-il. L’emballement a été tel que des actions humanitaires de toutes sortes ont été lancées, comme le mouvement 25 000 tuques tricotées à la main pour les réfugiés arrivant en plein hiver québécois. «C’est un effet de mode : [la crise des migrants] a été tellement médiatisée que tout le monde a l’impression qu’il se passe quelque chose d’important, qu’ils doivent en faire partie», explique Jacques Beauchemin. Il est convaincu que l’intérêt médiatique va s’effriter, même que cet essoufflement est en cours selon lui, alors que le gouvernement fédéral s’engage à trouver des nouvelles façons de faciliter l’immigration de réfugiés au pays. «La deuxième tranche de 25 000 réfugiés suscite déjà beaucoup moins d’intérêt médiatique que la première», souligne le professeur.

La xénophobie marginale, mais présente

On ne peut nier que des propos racistes et xénophobes circulent au Québec, comme l’ont rappelé les experts en immigration. Dans les médias, certains chroniqueurs utilisent leur tribune pour propager des idées d’extrême-droite très dures envers les immigrants, discours parfois jugés islamophobes. «Il y a un certain nombre de blogueurs qui profitent de la situation pour faire peur aux gens», soutient Victor Piché. Mais le professeur estime que l’islamophobie au Québec, bien qu’elle existe, est «contenue». «Il faudrait plutôt parler de xénophobie, car nos frontières ont commencé à se fermer il y a plus de 10 ans», ajoute-t-il, critiquant au passage les politiques d’immigration du gouvernement sortant de Stephen Harper.

Pour sa part, Jacques Beauchemin considère que la xénophobie «est un phénomène très marginal» au Canada. Par exemple, lorsque le gouvernement Trudeau a proposé, dans son plan d’immigration des réfugiés syriens, de refuser l’entrée aux jeunes hommes célibataires demandant l’asile, l’idée n’a pas duré longtemps. Les politiciens «se sont fait taper sur les doigts immédiatement», selon Beauchemin. Les discours anti-immigration des Donald Trump et Marine Le Pen sont «étranger aux discours ambiants des québécois», indique-t-il.

Ce genre de discours d’extrême-droite ne disparaîtra pas, d’après le sociologue. «C’est impossible d’enrayer la xénophobie, c’est humain, avance-t-il. On ne peut accueillir l’étranger sans a priori. On lui reconnaît d’emblée des valeurs ou des défauts. Tout le monde a son étiquette.»

Photo : Philippe Lemelin

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