La mort du journalisme

Le paysage médiatique québécois, ravagé qu’il est par la migration de la publicité vers le web, est appelé à changer. En ces temps de questionnement sur l’avenir du journalisme, des observateurs estiment que les médias traditionnels penchent trop souvent à droite, et que leur mode de financement est désormais révolu.

Chargé de cours à l’UQAM et chroniqueur pour le média alternatif Ricochet, Marc-André Cyr mène régulièrement la charge contre les radios et les chroniqueurs de droite au Québec. Selon lui, ce ne sont pas seulement les «dindons nerveux» et les «jambons» de ce monde qui sont de droite, mais bien toute la classe journalistique. À son avis, la main qui nourrit le journaliste aurait une trop grande influence sur le contrôle de l’information. «Le modèle marchand [des grandes entreprises de presse], presque par définition, sied mieux à la droite qu’à la gauche», affirme-t-il.

La présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Lise Millette, qui travaille également à l’Agence QMI, propriété de l’entreprise Québecor, dément rapidement les accusations d’ingérence des patrons de presse dans le contenu journalistique. «[À QMI], je n’ai jamais ressenti de pression politique, même durant la campagne électorale fédérale [de 2015] que j’ai couverte du premier jour jusqu’à celui des élections», assure-t-elle. Elle admet toutefois que les journalistes n’ont pas de contrôle sur l’importance qui sera accordée à chaque nouvelle dans les journaux papier ou les bulletins d’information.

Professeur de journalisme à l’UQAM, et auteure du récent rapport Bouleversements médiatiques et qualité de l’information, Judith Dubois poursuit sur la même lancée que Lise Millette. «Un média va choisir des sujets qui vont plaire le plus aux lecteurs, afin de plaire aux annonceurs. Pour un annonceur, plus le journal a de lecteurs, plus c’est intéressant», rappelle-t-elle.

Le nerf de la guerre

Là où le propos des intervenants se rejoint, c’est pour critiquer le rôle de la publicité dans les médias. À l’heure où les entreprises se ruent vers le web et où les médias doivent trouver de nouveaux moyens de se financer, Judith Dubois se désole de la décroissance des revenus. «Ç’a des répercussions extrêmement graves, parce qu’il faut couper dans les ressources dédiées à l’information», déplore-t-elle.

Lise Millette accuse quant à elle les dirigeants des grandes entreprises de presse d’avoir trop fait confiance au marketing, en ayant mis «tous leurs oeufs dans le panier de la publicité. Ça a été une erreur fondamentale», explique-t-elle.

Dans le même ordre d’idées, Marc-André Cyr tire à boulets rouges sur la «marchandisation» de l’information, qui selon lui nuit au travail même du journaliste. «De nos jours, on vend un lectorat à des publicitaires», affirme-t-il. «C’est clair que la pub exerce une pression qui est indue», ajoute Lise Millette.

À droite, les journalistes ?

Pour le chroniqueur de Ricochet, la propension des journalistes pour la droite s’exprime non seulement dans leur traitement des nouvelles, mais aussi dans leur choix des évènements d’intérêt. Selon lui, les versions «officielles» ont plus de poids que celles provenant de sources qui ont moins de pouvoir, donc moins d’argent.

À son avis, c’est le pouvoir qui parle à travers les entreprises de presse. «On ne parle pas de petites entreprises de presse, ça n’existe à peu près pas, remarque-t-il. C’est le même phénomène, par exemple, dans les librairies. Donc les classes dominantes (…) possèdent la presse, comme n’importe quelle industrie.»

D’après Judith Dubois, il s’agit d’une question démographique. «Si les journalistes ont en moyenne 40 ans, un revenu de 60 000 $ par année, ils sont représentatifs d’une génération et d’une classe sociale, argumente-t-elle. Donc, le choix des articles va être représentatif. Ceux qui sont plus jeunes, qui ont une pensée plus à gauche ne se retrouveront pas là-dedans. »

Un nouveau monde, une nouvelle voix

Pour la professeure de journalisme de l’UQAM, tout n’est pas noir ou blanc. «Il y a plus de place que jamais. D’une certaine manière, ce qui nuit à l’ensemble des médias traditionnels permet aux voix alternatives de se faire entendre à peu de frais», affirme-t-elle.

Une étincelle apparaît dans les yeux de Lise Millette lorsqu’elle parle d’une alternative à la morosité financière des médias québécois. «Peut-être est-il temps de faire éclater le modèle d’affaires, et de trouver autre chose, avance-t-elle. Au Québec, on a des producteurs d’information partout, on pourrait trouver le moyen de mettre ça en commun pour monter une sorte de plateforme nationale. Une grosse coop de médias.»

Une solution à envisager, selon la présidente de la FPJQ, serait le sociofinancement. Elle parle néanmoins d’un sociofinancement qui «dépasse Kickstater ou Haricot», des plateformes qui sont souvent insuffisantes pour assurer une pérennité aux médias. «C’est un modèle qui n’a jamais été essayé», d’après Lise Millette. Elle entretient énormément d’attentes envers la prochaine génération de professionnels, «qui se font dire année après année qu’il n’y en a pas de job en journalisme, et qui y vont quand même. Je refuse de croire que le journalisme est mort«, ajoute-t-elle, optimiste.

Photo: Jason de Villa (Flickr)

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